Volume 41, Number 2, 2005 Le corps dans les littératures francophones Guest-edited by Isaac Bazié
Table of contents (10 articles)
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Présentation. Le corps dans les littératures francophones
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Corps perçu et corps figuré
Isaac Bazié
pp. 9–24
AbstractFR:
Dès leur émergence, dans la première moitié du xxe siècle, les littératures francophones ont été perçues en fonction des différences qui les séparaient d’autres littératures notamment de la littérature française. Cette posture esthétique et théorique a eu comme conséquence de favoriser des lectures identitaires des textes, lectures qui ont jeté, dans la vague du mouvement de la négritude, un regard particulier sur le corps. Les représentations de celui-ci ne se limitent cependant guère au contexte de la négritude devenu caduc, mais se retrouvent dans des productions littéraires contemporaines, avec cependant des variations majeures. Le présent article propose dans un premier temps un survol des approches du corps dans les littératures francophones. Dans un second temps, il fera l’analyse des représentations du corps chez Ahmadou Kourouma et montrera comment ce traitement très contextualisé diffère de celui que lui réservent des auteurs comme Sony Labou Tansi.
EN:
Since the first half of the twentieth century, Francophone literatures have been differentiated and defined in comparison with other literatures, particularly with that of France. This aesthetic and theoretical position has led to readings that have stressed identity and, carried on the wave of négritude, to a distinctive perspective on the body. Representations of the body in Francophone literature, however, cannot be limited to the obsolete perspective of négritude, but should also confront contemporary literary productions with their important variations on the theme. The present article proposes, first, an overview of approaches to the body in different Francophone literatures. This overview is followed by an analysis of the very contextualized body formulated by Kourouma, so different from representations of the body in the work of authors like Sony Labou Tansi.
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L’initiation : le corps dans tous ses états
Ghizlaine Laghzaoui
pp. 25–41
AbstractFR:
Dans les sociétés africaines, l’initiation, en tant que rite, consacre le passage de l’enfance à l’âge adulte. Comme elle est très codifiée sur les plans anthropologique et sociologique, l’examiner sur le plan littéraire permet de voir comment le fantasme et l’imaginaire collectif, associés à l’acte d’écriture, exposent et distordent parfois la vision du corps, de sa préparation à sa mutilation. L’enfant noir de Camara Laye et Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma illustrent respectivement de manières différentes, et parfois antagoniques, l’initiation pubertaire du garcon (Laye) et celle de la fille (Salimata). La mise en scène dont le corps fait l’objet rend compte d’abord de sa dualité sexuelle et sociale, pressentie souvent dans les textes comme une confusion et une impureté. L’accès à l’âge adulte et la promotion sociale se font ensuite au prix de la mutilation du corps. Les deux personnages, Laye et Salimata, n’échappent pas à cette règle. Cependant, les épreuves et le rapport au corps ne sont pas vécus de la même manière. Laye traverse une épreuve ritualisée et euphémisée qui aboutit avec succès à son intégration sociale. Salimata, au contraire, subit dans la douleur son excision, puis son viol, auxquels elle imputera sa stérilité et l’exclusion qui en découle.
EN:
In African societies, strict rules govern the initiation rituals that mark the passage from childhood to adulthood. Both anthropologically and sociologically, these rituals demonstrate concretely how the collective imagination exposes and distorts the human body in order to prepare it for mutilation. These rituals have also been examined from a literary viewpoint. L’enfant noir by Camara Laye and Les soleils des indépendances by Ahmadou Kourouma illustrate, from opposed perspectives, the initiation rites of a boy (Laye) and a girl (Salimata). The novels stress the dichotomy of the body as a social and sexual entity. In a social environment marked by confusion and in which great stress is placed on impurity, adulthood and its corresponding social standing is attained by mutilating the body. Laye and Salimata do not escape this destiny. However, their ordeals and their relation to the human body are not represented in the same manner. Laye’s ritualized rite of passage leads to a successful social integration. Salimata, on the other hand, endures a painful excision and is subsequently raped; she attributes her sterility and resulting social exclusion to her body’s violation during her “ritualized rite of passage.”
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René Depestre : la terre faite chair
Katell Colin-Thébaudeau
pp. 43–56
AbstractFR:
Lors de sa publication en 1988, Hadrianna dans tous mes rêves, du romancier haïtien René Depestre, a été plébiscité par le lectorat et les relais médiatiques français. L’engouement sans faille et sans fausse note qu’il a alors suscité sollicite aujourd’hui la curiosité du critique. À quel horizon d’attente Hadrianna répondait-il donc, pour obtenir un tel succès ? Quelles stratégies déployées dans l’oeuvre ont garanti au roman une telle réception ? Certes, la mythification de ce que l’auteur qualifie d’« érotisme solaire haïtien », l’exploitation outrancière du registre sensuel ont largement contribué à la réussite commerciale du roman. Pour autant, il nous semble que, par-delà l’écueil stéréotypique, la relation du narrateur au « corps glorieux » d’Hadrianna se fait l’écho d’une liaison douloureuse — et frappée d’impossible — entre l’auteur, exilé, et sa terre insulaire, à jamais perdue. La mise en oeuvre, chez Depestre, d’un langage euphorique, excessif, débridé, se fait l’outil d’un transfert et d’une sublimation. À la terre haïtienne spoliée, dégradée, et devenue inaccessible, se substitue le corps miraculeux d’Hadrianna, dont l’écrivain, grâce au pouvoir démiurgique du Verbe, peut enfin jouir sans entraves.
EN:
In 1988, Hadrianna dans tous mes rêves, by the Haitian novelist René Depestre, was published to the unanimous acclaim of French readers and the nation’s media. This article examines the Hadrianna “craze.” To what extent did Hadrianna meet the expectations of French readers? What strategies did Despestre adopt to assure the novel’s success? Certainly, the mythification of what the author called l’“érotisme solaire haïtien,” his immoderate exploitation of the sensual register, contributed to the commercial success of the novel. Yet beyond the novel’s problematic sexual stereotypes, it seems that the relation of the narrator with the corps glorieux of Hadrianna, in addition, reflects the painful, virtually impossible bond between the author, exiled in France, and the insular homeland he has lost forever. Depestre’s use of an excessive, ecstatic, and uninhibited language is a diversion, a sublimation. For the land of Haiti—despoiled, degraded and finally inaccessible—is substituted Hadrianna’s miraculous body, which the author can finally enjoy without restriction through the demiurgic power of the Word.
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Le corps du sujet opaque dans la poésie de Magloire-Saint-Aude
Stéphane Martelly
pp. 57–72
AbstractFR:
Dans les années 1940 et 1950, le poète Magloire-Saint-Aude (1912-1971) publie en quelques minces recueils une « poésie raréfiée à l’extrême » et inaugure la modernité poétique haïtienne. Dans une écriture dense, exigeante, vécue dans son hermétisme comme une parole de l’individualité, comment se pose la question du corps à travers la figuration du sujet ? Comment peut se construire à travers la corporalité un sujet qui se définit aussi résolument par son opacité ? Pourtant, tout un lexique du corps comme matière, comme forme, comme expérience, comme espace ou comme geste, comme figure en un mot, laisse entendre que ce sujet qui se refuse si radicalement à notre reconnaissance n’est pas un sujet complètement abstrait, un pur esprit, une parole inlassable et creuse sur soi. En abordant l’oeuvre poétique de Magloire-Saint-Aude (Dialogue de mes lampes [1941], Tabou [1941] et Déchu [1956]) à travers le problème de son opacité, ce sont ces questions fondamentales concernant la représentation du sujet et de son corps qui sont problématisées ici par une approche à la fois sémiotique et herméneutique. Cet article s’attarde sur le corps du sujet opaque, tout à la fois présence et absence, qui se dérobe irrémédiablement à notre regard au moment même où nous nous interrogeons son sens.
EN:
The poetry of Magloire-Saint-Aude (1912-1971) is rarified to the extreme. Published in the 1940s and 1950s in three short collections, Magoire-Saint-Aude’s poems inaugurate the literary modernity of Haiti. Dense, demanding, individualized to the point of hermeticism, how can the critic approach in this poet’s work the question of the body as a figuration of the subject? How can one form a subject through the question of a body that defines itself so resolutely by its obscurity? A large lexicon concerning the body exists: as matter, form and experience, as space and gesture, as, in short, figure. The existence of a critical lexicon concerning the body proves that this subject, which essentially refuses recognition, is not a completely abstract, a pure spirit, a relentless and altogether hollow manner of speaking. In reading the poetry of Magloire-Sant-Aude (Dialogue de mes lampes [1941], Tabou [1941], Déchu [1956])—through the question of its obscurity, fundamental questions are raised concerning the representation of the subject and his or her body. Using a semiotic-hermeneutic approach, this article examines the problematic of the body as an obscure subject, presence and absence, avoiding our glance even at the moment we are trying to decipher its meaning.
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Le continent noir des corps : représentation du corps féminin chez Marie-Célie Agnant et Gisèle Pineau
Françoise Naudillon
pp. 73–85
AbstractFR:
La représentation du corps de la femme noire serait-elle un des derniers tabous de la littérature ? Corps torturé, corps esclave, corps exotique, corps maternel ou corps sensuel, le corps de la femme noire apparaît comme une grande machine à fantasmes. Nous analysons, dans le cadre de cet article, le développement des représentations du corps de la femme dans des textes écrits par des écrivaines issues de l’univers caribéen. L’intérêt de ces oeuvres est que s’y ajoute, au problème plus général de l’aliénation de la femme, celui du passé esclavagiste. Nous abordons en particulier dans cette perspective les textes de Marie-Célie Agnant (Haïti) et de Gisèle Pineau (Guadeloupe).
EN:
Is the representation of the black woman’s body literature’s last taboo? Tortured body, slave body, exotic body, maternal body, sensual body: the black woman seems to function as an enormous machine for generating fantasies. This article analyses the representation of the black woman’s body through the works of women writers from the Caribbean, a perspective that leads to an examination of female alienation in the context of the region’s slave past. These issues are explored by focusing in particular on the novels of Marie-Célie Agnant (Haiti) and Gisele Pineau (Guadeloupe).
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Les corps mythiques de Sony Labou Tansi : figuration et « mnémotopie »
Eugène Nshimiyimana
pp. 87–97
AbstractFR:
À partir des concepts de figuration et de « mnémotopie », cet article aborde la question du corps dans son rapport à la mémoire chez Sony Labou Tansi. Plus qu’un simple motif narratif lisible dans l’espace symbolique de la représentation du pouvoir, le corps se révèle comme un élément constitutif de la poétique sonyenne. Objet comme espace de l’écriture, il s’insère entre l’archive, le document et le monument sans pour autant faillir à ce qui semble sa vocation première, celle d’être un musée de la douleur, le lieu où se rencontrent le présent et le passé en anticipant sur le futur dans ses multiples possibilités de réalisation.
EN:
Based on the concepts of figuration and mnémotopie, this article examines the relation of the body to memory in the works of Sony Labou Tansi. More than a simple narrative motif in the symbolic space of power and its representations, the body is a constitutive element of Tansi’s poetics. An object, and also a writing space, the body positions itself at an equal distance from the archive, the document and the monument. Yet it also remains a museum of pain, the space where the present and past meet as the body anticipates the future and its myriad possibilities.
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Le corps au carrefour de l’intertextualité et de la rhétorique
Justin K. Bisanswa
pp. 99–114
AbstractFR:
Ce texte examine l’isotopie du corps en relation avec l’écriture, en mettant au jour les instances à l’oeuvre dans le roman africain contemporain derrière le double mouvement de fragmentation et de rassemblement. L’écriture se brasse et se désarticule comme sous le coup d’un éclatement radical. La progression du roman paraît accentuer ce mouvement vers une fragmentation exacerbée, en opérant en même temps un étonnant remembrement du tissu textuel.
EN:
This article examines the isotope of the body in relation to writing by examining the forces at work leading to the double movement of fragmentation and unification in the contemporary African novel. Writing has been shattered into a thousand pieces in reaction to a radical blow. The African novel as it has developed appears to heighten this movement towards intense fragmentation, yet it has at the same time brought about an astonishing stitching together of writing’s textual tissue.
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Le hasard à l’oeuvre chez Milan Kundera
Thierry Parent
pp. 117–134
AbstractFR:
Le hasard est un thème omniprésent dans l’oeuvre de Milan Kundera. Depuis La plaisanterie jusqu’à L’identité, le hasard est au coeur de l’écriture de cet auteur. Tantôt énigme à déchiffrer, tantôt facteur responsable de rencontres ou d’accidents, il est autant un ressort narratif qu’un élément central de la démarche ludique de l’auteur. Se concentrant principalement sur trois romans, La valse aux adieux, L’insoutenable légèreté de l’être et L’immortalité (dans lequel l’écrivain propose même une « théorie du hasard »), cette étude se penche sur les fondements et les conséquences du hasard dans le monde romanesque de Kundera. De nature non causale, le hasard contribue à redéfinir les paramètres du roman, surtout en ce qui a trait à la logique de cause à effet et à l’unité d’action. Ce travail permet donc un nouveau regard sur l’oeuvre de Milan Kundera et, par extension, sur le rôle du hasard dans la pratique romanesque contemporaine.
EN:
Chance is a pervasive theme of Milan Kundera’s novels. From La plaisanterie to L’identité, chance is at the center of his literary practice. Sometimes an enigma to be solved, at other times the force responsible for meetings and accidents, chance is as much a narrative stimulus for Kundera as it is a central element in his playful treatment of characters. Concentrating on La valse aux adieux, L’insoutenable légèreté de l’être and L’immortalité—in which the author himself proposes a “theory of chance”—, this article examines the underpinnings and consequences of chance in the world of Kundera’s novels. Taking a fresh look at Kundera’s work and at his “acausal” chance, this article contributes to a redefinition of the novel’s parameters, especially concerning the logic of cause and effect and unity of action, and leads more generally to an examination of the role of chance in the contemporary novel.
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La remise en question de la grossesse et de la maternité chez Anne Cuneo, Marie-Claire Dewarrat et Anne-Lise Grobéty
Joy Charnley
pp. 135–147
AbstractFR:
Cet article étudie la représentation de la grossesse, de la fausse couche et de la maternité chez trois écrivaines romandes, Anne Cuneo, Marie-Claire Dewarrat et Anne-Lise Grobéty. La position de chacune par rapport à la littérature féministe ou féminine est différente, mais chacune à sa manière critique les stéréotypes auxquels les femmes doivent faire face à ce sujet. Dans Mortelle maladie (1969), Zéro positif (1975), La fiancée d’hiver (1984) et L’âme obscure des femmes : des nouvelles de la maternité… (1997), elles remettent en question l’instinct maternel et l’idéalisation de la maternité et revendiquent une autre façon de représenter la relation mère/enfant.
EN:
This paper studies the representation of pregnancy, miscarriage and motherhood in the work of three Swiss-French women writers: Anne Cuneo, Marie-Claire Dewarrat and Anne-Lise Grobéty. Each of them has a different stance regarding women’s writing or feminist writing, yet each in her own way criticizes the stereotypes with which women are faced in this particular area of experience. In Mortelle maladie (1969), Zéro positif (1975), La fiancée d’hiver (1984) and L’âme obscure des femmes: des nouvelles de la maternité… (1997), they question the existence of a maternal instinct and the idealization of motherhood and seek a new way of depicting mother/child relationships.