Nouvelles perspectives en sciences sociales
Volume 17, Number 2, May 2022 Sur le thème : « Agriculture urbaine : vers une reconfiguration des liens sociaux et territoriaux » Guest-edited by Isabelle Bianquis and Jean-Louis Yengué
Table of contents (19 articles)
Partie 1 : Politiques publiques, enjeux environnementaux et participation citoyenne
-
Le regain des délaissés, la permaculture sur le sol vivant
Serge Bernard
pp. 33–65
AbstractFR:
Pour commencer l’auteur s’interroge sur la catégorie sémantique « agriculture urbaine » : qu’y a-t-il en effet de commun entre toutes les multiples activités rangées sous ce générique ? Son approche repose au début sur l’esquisse d’une exploration de la notion au travers de plusieurs espaces comparés à l’échelle du global, pour arriver au local avec l’observation de petites parcelles travaillées en sol vivant par des permaculteurs avec qui l’auteur débat depuis des mois. La première partie dégage les premières lignes de la mise en débat de ce qui pourrait être un corpus de références ou valeurs communes, aussi bien à l’échelle planétaire, celle du « désordre global » (Coline Serreau, documentaire, 2010) qu’à la micro-échelle, celle « des solutions locales » (ibid.).
Dans la deuxième partie, l’auteur analyse le sujet des espaces urbains délaissés, investis ou convoités par les permaculteurs urbains, qui s’entrecroisent avec les lieux de vie des délaissés sociaux. L’auteur croit y voir un possible retour de la forêt et le regain des lisières et marges. Il propose en synthèse l’idée que l’agriculture urbaine pourrait annoncer « une rupture anthropologique majeure » privilégiant la culture sur sol vivant et la fin du labour. Cet essai réflexif se nourrit d’échanges avec des permaculteurs urbains plus particulièrement proches de la pensée disruptive de Masanobu Fukuoka sur « l’agriculture sauvage » et le travail du « sol vivant », comme de celle des alter-architectes paysagistes et urbanistes qui ont théorisé les tiers-lieux dans la ville. L’auteur propose un autre regard des marges socio-spatiales dans la ville, spécialement des jardins de résistances à l’interstice de l’ombre des forêts et de la lumière crue et rase des défrichés.
EN:
To begin with, the author questions the semantic category of «urban agriculture»: what indeed is common to all the multiple activities classified under this generic term? His approach is based on an exploration of the notion through several spaces compared on a global scale, to arrive at the local level with the observation of small plots worked in living soil by permaculturists with whom the author has been discussing for months. The first part outlines the first lines of the debate on what could be a corpus of references or common values, both on a planetary scale, that of “global disorder” (Coline Serreau, documentary, 2010), and on a micro-scale, that of “local solutions” (ibid.).
In the second part, the author analyzes the subject of neglected urban spaces, invested or coveted by urban permaculturists, which intersect with the living spaces of the socially neglected. The author believes to see a possible return of the forest and the revival of edges and margins. In synthesis, he proposes the idea that urban agriculture could herald “a major anthropological break” favoring cultivation on living soil and the end of plowing. This reflective essay is based on exchanges with urban permaculturists who are particularly close to Masanobu Fukuoka’s disruptive thinking on “wild agriculture” and “living soil” work, as well as to that of alter-landscape architects and urban planners who have theorized about third places in the city. The author proposes another look at the socio-spatial margins in the city, especially the gardens of resistance at the intersection of the shadow of the forests and the raw, low light of the cleared land.
-
Analyser l’agriculture urbaine occidentale à travers la notion de capital environnemental
Carmen Cantuarias-Villessuzanne and Mathilde Vignau
pp. 67–117
AbstractFR:
Expérimentée de longue date dans les pays émergents, l’agriculture urbaine et périurbaine (AUP) connaît un intérêt croissant dans les pays occidentaux depuis la fin du XIXe siècle. En France, les premiers exemples concrets de ces nouvelles pratiques agricoles en centre-ville ou en proche banlieue sont ceux des jardins ouvriers qui apparaissent dans le sillage de la Ligue française du coin de terre et du foyer, créée en 1896 à l’initiative de l’abbé Jules-Auguste Lemire. Puis, au début des années 1970, le mouvement Green Guerillas et les community gardens transforment peu à peu les villes nord-américaines comme New-York. Depuis lors, les villes des pays industrialisés sont de plus en plus concernées par un changement de paradigme qui témoigne d’un retour en force de la campagne et de la nature en ville. Dans les faits, l’importance des nouvelles pratiques agricoles urbaines et périurbaines transparaît dans le sens où ces dernières suscitent l’intérêt de plusieurs institutions et gouvernements à toutes les échelles. En outre, les fonctions et les objectifs de l’AUP sont multiples et cette dernière pose à la fois la question des ressources alimentaires urbaines, de l’amélioration du cadre de vie, de la revalorisation de friches délaissées ou, plus généralement, du développement durable et de la préservation des écosystèmes naturels.
Polymorphe, multifonctionnelle et fondée sur la nature, l’AUP se distingue donc par une grande variété de pratiques agricoles qui foisonnent et se multiplient dans les villes françaises et européennes indépendamment de leur taille. Une telle diversité se traduit nécessairement par un nombre important de questionnements et de problématiques qui affectent directement les territoires urbains et périurbains. Cette contribution propose d’analyser les projets d’AUP en s’intéressant plus spécifiquement à la notion de capital environnemental.
L’objectif de ce travail est ainsi d’analyser les modèles économiques impliqués dans l’AUP française, à travers une grille théorique du capital environnemental. Il s’agit pour nous d’éclairer d’une nouvelle lumière le concept déjà très documenté d’AUP, dans le but de formaliser à terme une nouvelle cartographie des projets d’AUP contemporaine en France.
EN:
Experienced for a long time in emerging countries, urban and peri-urban agriculture (UPA) knows a growing interest in Western countries since the end of the 19th century. In France, the first concrete examples of these new agricultural practices in the city centers or in the inner suburbs are those of the allotment gardens which appear in the wake of the French League of Coin de Terre et du Foyer, created in 1896 at the initiative of Father Jules-Auguste Lemire. Then, in the early 1970s, the Green Guerillas as well as the community gardens have changed northern american cities such as New York. Since then, cities in industrialized countries have increasingly been affected by a paradigm shift that shows a strong comeback of the countryside and nature in the city. In fact, the importance of new UPA practices is evident in the sense that they arouse the interest of several institutions and governments at all scales. In addition, the functions and objectives of the UPA are multiple. It raises both the question of urban food resources, the improvement of the living environment, the revaluation of abandoned wasteland or, more generally, the sustainable development and preservation of natural ecosystems.
Polymorphic, multifunctional and a solution based on nature, UPA is therefore distinguished by a wide variety of agricultural practices which abound and multiply in French and European cities regardless of their size. Such diversity necessarily translates into many questions and issues that directly affect urban and peri-urban territories. This contribution proposes to analyze UPA projects by focusing more specifically on the concepts of environmental capital.
Thus, the objective of this work is to analyze the economic models involved in the French UPA projects, through a theoretical grid of environmental capital. This means shedding new light on the already well-documented concept of UPA, with the aim of formalizing a new mapping of contemporary UPA projects in France.
-
Dézonage des Terres agricoles d’Espérance au Québec : un enjeu agro-alimentaire et écologique
Fabien Jakob
pp. 119–158
AbstractFR:
Par le prisme d’une sociologie de la justification (Boltanski et Thévenot), cette contribution démontre comment la révision participative et délibérative du Schéma d’aménagement de développement de l’Agglomération de Québec pourrait non seulement témoigner d’une évolution des attentes sociales vis-à-vis de l’agriculture à l’appui d’alternatives soutenant des pratiques plus raisonnables ou responsables, mais encore refléter un certain écologisme aspirant à une nouvelle forme de vivre-ensemble avec le monde naturel.
EN:
Using tools from the sociology of justification (Boltanski et Thévenot)), this study demonstrates how the participatory and deliberative revision of the Quebec land use planning and development scheme may cause to reconsider social expectations towards agriculture that support more reasonable or responsible practices, but may also reflect rising ecological concerns that establish new ways of valuing nature as common good.
-
L’agriculture urbaine face aux nouveaux défis de la ville nourricière et durable : approche géohistorique et nouvelles perspectives à partir des exemples de Tours Métropole Val de Loire et de la région Île-de-France (France)
Amélie Robert and Yves Petit-Berghem
pp. 159–215
AbstractFR:
L’agriculture urbaine est en plein essor en France et l’intérêt est tel qu’elle s’impose de plus en plus dans les politiques publiques. Pourtant, elle n’a pas toujours occupé cette place de choix : la ville a plutôt progressé au détriment de l’agriculture et c’est surtout sur des espaces marginalisés qu’elle s’impose aujourd’hui. Notre article porte ainsi un regard géohistorique sur l’agriculture urbaine, en se fondant d’abord sur la littérature existante ; nous montrons que nous sommes passés d’une marginalisation de l’agriculture à une agrarisation de la ville. Des exemples pris au sein de Tours Métropole Val de Loire (maraîchage et jardins familiaux) et en Île-de-France (délaissés urbains : micro-fermes urbaines et écoquartiers) sont l’occasion de questionner ensuite la place actuelle de l’agriculture dans une ville qui se veut désormais nourricière et durable, laissant imaginer son insertion dans la ville de demain.
EN:
Urban agriculture is growing in France and, consequently, it is becoming more and more important in public policies. However, it has not always been considered so favorably. The city has rather progressed to the detriment of agriculture and today agriculture is mostly imposed on marginalized spaces. Our article takes a geohistorical look at urban agriculture, based first on existing literature. We thus show the evolution from a marginalization of agriculture to an agrarianization of the city. Some examples taken in Tours Métropole Val de Loire (market gardening and allotment gardens) and Île-de-France (abandoned urban areas: urban micro-farms and eco-districts) are an opportunity to question the current place of agriculture in a city that now wants to be nourishing and sustainable, allowing us to imagine its insertion in the city of tomorrow.
-
Activité maraîchère dans les zones inconstructibles : une nouvelle stratégie d’adaptation à l’évolution urbaine à Libreville (Gabon)
Gérald Emmanuel Libongui, Noël Ovono Edzang, Jean-Bernard Mombo and François Laurent
pp. 217–245
AbstractFR:
Libreville connait ces dernières décennies une urbanisation accélérée, qui se fait aux dépens des espaces cultivés. Aujourd’hui, les acteurs du domaine agricole sont confrontés à l’insécurité foncière. Une analyse de la conversion des terres inconstructibles pour les besoins maraîchers sous la pression de l’expansion urbaine est présentée. L’objectif est, d’une part, d’identifier et évaluer la dynamique des espaces construits entre 2008 et 2020 et, d’autre part, de déterminer les stratégies des agriculteurs pour s’adapter à l’expansion du bâti. L’approche méthodologique utilisée combine les données satellitaires multisources, les entretiens et les enquêtes de terrain, afin de proposer une identification des facteurs explicatifs de la localisation des sites maraîchers actuels, grâce à une implémentation des données dans un SIG. Finalement, la cartographie de la dynamique des espaces agricoles montre l’évincement de l’agriculture par les constructions et l’évolution de la localisation des surfaces agricoles dans des espaces qui rassemblent plusieurs critères : les espaces délaissés par le bâti lié à l’inondation, mais aussi proches des zones urbanisées, sont progressivement occupés par les agriculteurs au fur et à mesure que la ville s’étend.
EN:
Libreville has experienced accelerated urbanization in recent decades at the expense of cultivated areas. Today, actors in this sector are facing land tenure insecurity. An analysis of the reconversion of flood zones that cannot be built for agricultural needs is presented. The objective is, on the one hand, to identify and assess the dynamics of the agricultural areas and built between 2008 and 2020; on the other hand, to determine the strategies of farmers to adapt to the expansion of the city. The methodological approach used combines multisource satellite data, interviews and field surveys, in order to propose a model of the explanatory factors for the location of current market garden sites, from an implementation of the data in a GIS. Finally, the mapping of agricultural areas dynamics reveals the degradation of agriculture by the construction and evolution of exploited spaces which include those five parameters. At the same time, lands that cannot be built on because of the flood, but also those near urban areas, are gradually occupied by farmers as the city grows.
Partie 2 : Fonctions alimentaires, économiques et sociales des territoires urbains cultivés
-
Les jardins collectifs urbains, des lieux au potentiel alimentaire inexploité : le cas parisien
Charlotte Beaufils
pp. 249–283
AbstractFR:
Construit autour de l’exemple parisien, cet article s’inscrit dans le débat scientifique actuel sur la fonction alimentaire des jardins collectifs urbains. À partir de l’existence avérée d’une production de fruits et légumes dans les jardins collectifs parisiens, l’article entend interroger la contribution potentielle de ces espaces à l’alimentation de leurs usagers jardiniers. Il repose sur une enquête auprès des responsables de jardins collectifs, associée à l’analyse manuelle d’images aériennes de sites de jardinage et à la quantification de taux de production des volumes récoltés. Les résultats obtenus montrent que les jardins collectifs parisiens ne permettent pas de satisfaire les besoins de leurs usagers en fruits et légumes. Ils constituent une aide limitée pour accroître la quantité de fruits et légumes consommés par individu. En revanche, ils contribuent à améliorer leur alimentation sur le plan nutritif et social en enrichissant la diversité et la qualité de leur régime alimentaire tout en favorisant des temps sociaux autour de l’alimentation. Leur rôle alimentaire n’est donc pas à négliger au profit d’autres fonctions.
EN:
Based on the Parisian example, this article is part of the current scientific debate regarding the food contribution of urban collective gardens. Based on the proven existence of fruit and vegetable production in Parisian collective gardens, the article aims to examine the potential contribution of these spaces to the diet of their gardening users. It is based on a study conducted with collective garden managers, combined with manual analysis of aerial images of gardening sites and vacant spaces, as well as quantification of production rates of harvested volumes. The results obtained show that Parisian collective gardens do not meet the needs of their users in terms of fruits and vegetables. They are a limited help in improving the quantity of fruit and vegetables consumed per person. On the other hand, they contribute greatly to their dietary practices on a nutritional and social level by improving the diversity and quality of their diet while promoting social time around food. Their dietary role should therefore not be neglected in favor of other functions.
-
Agriculture et système alimentaire urbain à Ziguinchor (Sénégal) : acteurs, circuits, pratiques et enjeux
Sécou Omar Diédhiou, Alioune Badara Dabo, Oumar SY and Christine Margetic
pp. 285–326
AbstractFR:
Source d’aliments pour les populations, l’agriculture représente une activité économique clé pour les ménages urbains précaires et joue un rôle majeur dans le système alimentaire de la ville de Ziguinchor. Elle est caractérisée par une diversité d’acteurs organisés ou non en réseaux et ses produits passent par divers circuits de commercialisation contribuant ainsi à la sécurité alimentaire des citadins. Cette sécurité alimentaire constitue aujourd’hui l’un des enjeux majeurs de la ville liés notamment à la croissance démographique. Elle conduit à de nouveaux rapports entre acteurs de l’agricole et acteurs de l’urbain dans une ville en extension rapide. À travers l’approvisionnement des citadins en légumes, cet article revient sur les acteurs de l’agricole notamment les agricultrices, les circuits, les pratiques et les enjeux du développement de l’activité agricole dans la ville de Ziguinchor. Ces apprentissages sont autant de clés pour appréhender des bassins de production urbains, des liens, des réseaux et des circuits de distribution de produits alimentaires de proximité ou non dans la ville de Ziguinchor. L’analyse s’appuie sur un questionnaire et un corpus d’entretiens menés auprès des acteurs commerciaux (grossistes, détaillants, intermédiaires), de maraîchères et de consommateurs. Les résultats montrent une mobilisation de réseaux utilisés par divers acteurs et circuits de distribution de produits alimentaires. En outre, la diversité des acteurs, des réseaux, des flux mobilisés et des circuits contribue à favoriser des résultats en termes de sécurité alimentaire.
EN:
A source of food for the populations, agriculture represents a key economic activity for precarious urban households and plays a major role in the food system of the city of Ziguinchor. It is characterized by a diversity of actors, organized or not in networks, and its products pass through various marketing circuits, thus contributing to the food security of city dwellers. This food security is now one of the major challenges for the city, linked to population growth. It leads to new relationships between agricultural actors and urban actors in a rapidly expanding city. Through the supply of city dwellers with vegetables, this article looks back on the actors of agriculture, in particular women farmers, the circuits, the practices, and the challenges of the development of agricultural activity in the city of Ziguinchor. These learnings are all keys to understanding urban production basins, links, networks, and distribution circuits of local or non-local food products in the city of Ziguinchor. The analysis is based on a questionnaire and a corpus of interviews conducted with commercial players (wholesalers, retailers, intermediaries), market gardeners and consumers. The results show a mobilization of networks used by various actors and distribution channels of food products. In addition, the diversity of actors, networks, mobilized flows and circuits helps to promote results in terms of food security.
-
Porter une initiative d’agriculture urbaine en quartiers populaires : nouveaux acteurs du militantisme et de l’entrepreneuriat, perspectives dunkerquoises
Louise Clochey, Valérie Lavaud-Letilleul and Élodie Valette
pp. 327–381
AbstractFR:
L’agriculture urbaine, corrélée à la réponse aux crises et vulnérabilités, est mobilisée par divers acteurs dans un objectif de développement durable. Ses répercussions sociales semblent néanmoins contrastées. Cet article analyse les initiatives habitantes d’agriculture urbaine jardinière collective à Dunkerque, ville marquée par un modèle industriel déclinant, où ces dynamiques semblent peu marquées, et à Grande-Synthe, ville de sa Communauté Urbaine y portant une attention particulière. Nous analysons cinq initiatives et leurs porteurs, en interrogeant leur caractère alternatif, radical (supposé améliorer des conditions de vie des populations défavorisées) et néolibéral (supposé générer un accroissement des inégalités sociales). La place des populations défavorisées, majoritaires sur le territoire, et le rôle des politiques publiques dans l’émergence et l’orientation des initiatives d’agriculture urbaine sont particulièrement questionnées. Nous mettons en évidence l’affiliation hybride des initiatives aux composantes néolibérales, alternatives et radicales de l’agriculture urbaine, et l’impact de trajectoires individuelle et territoriales sur ces orientations.
EN:
Urban agriculture is correlated with the response to crises and vulnerabilities. It is promoted by many stakeholders as a tool of sustainable urban development. This article analyzes non-profit urban agriculture initiatives led by city residents in Dunkirk, a French industrial shrinking city, where such dynamics seem to be weak, and in Grande-Synthe, a city of the urban area, paying particular attention to them. We especially analyze five initiatives and the people behind them by highlighting their alternative, radical (supposed to improve the underprivileged populations’ livelihoods) and neoliberal (supposed to increase social inequalities) features. We put a particular emphasis on the place of the disadvantaged population, who are in the majority in the area, and on the role of public policies in the emergence and orientation of those urban agriculture initiatives. We underline simultaneous and contradictory affiliations of the initiatives to neoliberal, alternative and radical functions of urban agriculture, and the influence personal and territorial path play on it.
-
L’agriculture urbaine en Polynésie française : du traditionnel fa’a’apu au jardin collectif. Exemple du jardin de la résidence universitaire d’Outumaoro
Anthony Tchékémian
pp. 383–413
AbstractFR:
La crise sanitaire actuelle interroge la capacité des systèmes de production, notamment agricoles et industriels, à faire face à des catastrophes. Les mesures de protection mises en place à l’échelon étatique incitent à un retour au local. Traditionnellement, depuis plusieurs générations, les Polynésiens cultivent un jardin familial, nommé fa’a’apu. Ce jardin leur permet de se nourrir, par les fruits et légumes cultivés, mais aussi de se soigner à l’aide de plantes médicinales. Dans une perspective résiliente, nous développerons l’exemple d’un jardin collectif, à l’initiative d’étudiants résidant à la cité universitaire. Ce jardin apparaît comme une réponse à l’augmentation des prix constatée depuis le début de la crise sanitaire. En outre, les étudiants, isolés et éloignés de leurs familles, constatent que le travail de la terre crée du lien social dans la résidence. De plus, ce jardin améliore leur cadre de vie et leur offre une occupation vécue comme apaisante, que certains relient à leur identité polynésienne, en invoquant la pratique du fa’a’apu.
EN:
The current sanitary crisis questions the capacity of production systems, particularly agricultural and industrial systems, to cope with disasters. The protection measures put in place at the state level encourage a return to the local level. Traditionally, for several generations, Polynesians have cultivated a family garden, called fa’a’apu. This garden allows them to feed themselves, through the fruits and vegetables they grow, but also to treat themselves with medicinal plants. From a resilient perspective, we will develop the example of a collective garden, initiated by students living in the university campus. This garden appears to be a response to the increase in prices observed since the beginning of the health crisis. In addition, the students, who are isolated and far from their families, find that working on the land creates a social link in the residence. Moreover, the garden improves their living environment and offers them an occupation that is experienced as soothing, which some link to their Polynesian identity, citing the practice of fa’a’apu.
-
Le jardinage-habitant et la transition écologique des petites villes sous influence métropolitaine : le cas de Magny-en-Vexin, Île-de-France, France
Flora Rich and Yves Petit-Berghem
pp. 415–476
AbstractFR:
Située à une heure de Paris et à seulement 25 kilomètres de Cergy, Magny-en-Vexin est une commune du Val-d’Oise comptant près de 5 600 habitants. Environné de grandes cultures et de forêts, Magny s’inscrit dans un Parc naturel régional et est traversé par l’Aubette, une rivière autrefois aménagée pour les besoins domestiques et économiques de la ville, à la base du développement de son artisanat et de sa petite industrie (moulins, tanneries, chaiseries, sucrerie). Du faisceau d’activités humaines jadis rassemblées au fil de l’eau, les jardins sont parmi les derniers usages. Ils permettent de recréer un dialogue avec les habitants et leurs élus pas seulement préoccupés par le risque d’inondation d’une rivière dont on a voulu trop artificialiser le cours et les paysages. Les jardiniers sont les acteurs de nouvelles pratiques qui contribuent à redéfinir un sens mais aussi un rapport intime à ces espaces rivulaires dont on cherche à reconnaître « la valeur des lieux ». Au-delà de la clôture et de l’objet qui sépare, les jardins semblent constituer aujourd’hui un nouveau levier d’appropriation et de renouvellement d’un paysage historique ; ils participent à revitaliser un centre bourg et à mettre à jour une diversité de formes et de pratiques socio-spatiales induisant de nouveaux regards ainsi que de nouveaux agissements individuels et collectifs.
À partir d’enquêtes et d’observations in situ réalisées dans le cadre du programme de recherche action Popsu Territoires « Magny-en-Vexin, une petite ville sous influence métropolitaine... à la recherche de son territoire perdu », cette proposition entend démontrer que les jardins représentent une opportunité pour repenser les bases d’un projet urbain où l’avenir se dessine en commun.
EN:
Located one hour from Paris and only 25 kilometers from Cergy, Magny-en-Vexin is a commune in the Val-d’Oise department (France) with a population of nearly 5,600. Surrounded by fields and forests, Magny is part of a regional nature park and is crossed by the Aubette, a river that was once used for the town’s domestic and economic needs, and was the basis for the development of its crafts and small-scale industry (mills, tanneries, chairs factory, sugar mills). Of the bundle of human activities once gathered along the water, the gardens are among the last uses. They enable a dialogue to be recreated with the inhabitants and their elected representatives, who are not only concerned about the risk of flooding from a river whose course and landscapes have been overly artificialized. The gardeners are the actors of new practices that contribute to redefining a meaning but also an intimate relationship with these river spaces for which we are trying to recognize “the value of the place”. Beyond the fence and the object that separates, the gardens seem to constitute today a new lever of appropriation and renewal of a historical landscape; they participate in the revitalization of a town center and bring to light a diversity of socio-spatial forms and practices inducing new looks as well as new individual and collective actions.
Based on surveys and in situ observations carried out as part of the Popsu Territoires action research program “Magny-en-Vexin, a small town under metropolitan influence... in search of its lost territory”, this proposal aims to demonstrate that gardens represent an opportunity to rethink the foundations of an urban project where the future is drawn in common.
Partie 3 : Pratiques et représentations de l’agriculture urbaine
-
Faire son potager en ville. Normes sociales et contrôle de la nature dans les jardins familiaux
Francesca Di Pietro and Emmanuèle Gardair
pp. 479–518
AbstractFR:
Cette étude concerne des espaces urbains particuliers, les jardins familiaux associatifs. Elle examine le poids respectif des normes du jardin contrôlé, sans végétation spontanée, et du jardin naturel, cultivé sans pesticides. Elle s’intéresse à l’effet du statut des jardiniers (simples jardiniers versus jardiniers-gestionnaires), de leur genre et du gradient urbain, appréhendé par la densité du bâti (faible, intermédiaire ou dense). Des entretiens semi-directifs relatifs aux motivations et aux représentations du jardinage ont été réalisés auprès de 46 jardinier.e.s (16 femmes et 30 hommes ; 17 jardiniers-gestionnaires et 29 simples-jardiniers). L’analyse textuelle a été réalisée à l’aide du logiciel Alceste. Trois univers lexicaux, relatifs aux pratiques de jardinage, au rapport à la nature et à la gestion des jardins ressortent des discours. Les résultats mettent en évidence l’effet du statut du jardinier et du gradient urbain. La prépondérance de la norme esthétique conduisant à la recherche d’un chimérique « beau potager » est discutée.
EN:
This research focuses on a particular urban space, the allotment gardens. It investigates the relative weight of the norms of the controlled garden, without any spontaneous vegetation, and the natural garden, cultivated without pesticides. It looks at the effect of the gardeners’ status (ordinary gardeners versus gardeners-managers) and gender, and of the urban gradient, apprehended by the density of the built environment (low, intermediate or dense). Semi-structured interviews on the motivations and representations of gardening were conducted with 46 gardeners (16 women and 30 men; 17 manager-gardeners and 29 ordinary gardeners). The textual analysis was carried out using Alceste software. Three lexical universes, relating to gardening practices, the relationship with nature and garden management, emerged from the discourses. The results highlight the effect of the gardener’s status and the urban gradient. The preponderance of the aesthetic norm leading to the search for a chimerical “beautiful vegetable garden” is discussed.
-
L’oeuf et la poule de réforme. Un fil rouge pour penser l’agriculture urbaine au temps de Covid-19 (Sarthe)
Sophie Laligant
pp. 519–567
AbstractFR:
Débattre des reconfigurations des liens sociaux et territoriaux dans l’agriculture urbaine constitue un champ classique d’analyse autour des questions suscitées à l’échelle mondiale en ce début de XXIe siècle comme la détérioration de l’environnement et de la biodiversité animale et végétale, le dérèglement climatique, l’épuisement des ressources et la précarisation économique des populations. Mais cette question ne s’est jamais posée avec une telle acuité que depuis le début de la pandémie liée au coronavirus. À la faveur du confinement et d’une ethnographie inédite recueillie dans l’ouest de la Sarthe, cet article mobilise la notion de désordre empruntée à Gregory Bateson qui entre directement en résonance avec une photographie du rayon oeufs prise dans une GMS (Super U) le 27 mars 2020. Avec cet arrêt sur image, je souhaite renverser la focale en partant non pas des acteurs mais des objets, et déjouer certaines illusions où le végétal issu du travail de la terre serait l’unique prisme pour penser et « ordonner » notre conception de l’agriculture urbaine. Loin de la ville prise comme un invariant normé du fait de sa population, de son urbanisation et du type d’activité, l’oeuf et la poule de réforme dévoilent de façon subtile, à travers les catégories vernaculaires, d’autres temporalités, d’autres vécus et investissements affectifs aux objets et aux espaces qui réarticulent nos repères et nos règles communes et qui rendent compte de considérations d’ordre écologique, économique, social et politique jusqu’alors inconnues.
EN:
Debate on the reconfiguration of social and territorial relations in urban agriculture is a classic field of analysis around the issues raised on a global scale at the beginning of the 21st century, such as the damage of the environment and animal and plant biodiversity, the climate change, the lack of resources, and the economic insecurity. However, this question has never been raised with such acuteness as since the beginning of the coronavirus pandemic. Thanks to the confinement and an unprecedent ethnography gathered in the west of the Sarthe region gathered, I mobilize in this article the notion of disorder borrowed from Gregory Bateson. Such notion directly resonates with a photograph of the egg stall taken in a supermarket (Super U) on March 27, 2020. With this frozen picture, my intention is to reverse the focus by starting not from the actors but from the objects, and to thwart some of illusions such as the vegetation resulting from the work of the earth would be the only prism to think and “order” our conception of urban agriculture. Far from the city taken as a normative invariant because of its population, its urbanization and the type of activity, the egg and the cull hen reveal in a subtle way, through vernacular categories, other temporalities, other way of life and affective investments to the objects and spaces which re-articulate our ecological, economical, social and political understandings and categories until then unknown.
-
Note ethnographique sur le rôle social du potager et la considération des légumes en Mongolie post-communiste. Un exemple d’une petite production maraîchère périurbaine
Sandrine Ruhlmann
pp. 569–616
AbstractFR:
Si la base de l’alimentation des familles mongoles, urbaines et rurales, nomades et sédentaires, demeure la viande et les produits laitiers – les produits qui nourrissent, font repas et sont socialement valorisés –, le régime alimentaire se modifie sur l’ensemble du territoire de façon notable depuis le début des années 2000. Sous l’impulsion d’une politique de santé publique de diversification alimentaire amorcée dans les années 1990, beaucoup de familles intègrent progressivement dans leur alimentation quotidienne des farineux (consistance) et des légumes (diverses propriétés nutritives et nutritionnelles). Ces produits sont cependant coûteux pour une majorité de foyers domestiques. Cet article présentera les activités d’une famille d’un petit village provincial de l’est de la Mongolie, qui cultive un potager de légumes en marge de ce village, dont une partie est destinée à approvisionner les membres de la famille élargie au niveau de la commune, ainsi que leur petit magasin d’alimentation générale au village. Après avoir décrit le lieu de production familiale et les produits cultivés, cette note tracera les contours des circuits informels et formels de ces produits pour mettre en évidence les liens sociaux et économiques créés, entretenus et mobilisés par les familles à différents desseins. Car ce potager est la source d’entraides économiques et sociales où les légumes cultivés et récoltés font l’objet d’échanges contre des biens et/ou des services.
EN:
The staple diet of Mongolian families, whether urban or rural, nomadic or sedentary, is still meat and dairy products today – the nourishing foodstuffs, which make up the meals and are socially valued. However, the diet has changed significantly throughout the country since the beginning of the 2000s. On the initiative of a public health policy promoting dietary diversification that was initiated in the 1990s, many families are gradually integrating starchy foodstuffs (filling) and vegetables (providing various nutritional properties) into their daily diet. However, these products take a too substantial share in a majority of households’ budgets. This paper will elaborate on the activities of a family living in a small provincial village in eastern Mongolia, who cultivate a vegetable garden on the outskirts of the village, of which some products supply extended family members at the commune level as well as their small general grocery store in the village. After describing the family’s production site and the products they grow, this note will draw the contours of the informal and formal circulation channels used for these products to shed light on the social and economic ties created, maintained and mobilized by the families for different purposes. As a matter of fact, this vegetable garden turns into a hub of economic and social mutual assistance whereby the vegetables grown and harvested are exchanged for goods and/or services.
-
Les potagers domestiques québécois : du jardin archétypal au jardin pluriversel
Manon Boulianne and Josyanne Proteau
pp. 617–656
AbstractFR:
Cet article propose une analyse de la forme et des fonctions des potagers domestiques, des activités et interactions qui s’y déroulent ainsi que des significations qu’ils revêtent pour leurs protagonistes. Aménagés sur des terrains privés attenants à une résidence principale, ces potagers sont révélateurs d’une certaine manière d’être au monde et témoignent des transformations s’étant opérées dans le jardinage d’autoproduction au cours des dernières décennies. Une enquête ethnographique menée dans la région de Québec a révélé l’existence de deux modèles de potagers : l’archétype du XXe siècle et le jardin pluriversel. L’article explore les dimensions esthétique et productive de ces jardins, le rapport particulier à la nature et aux non-humains qui les caractérise ainsi que les principaux vecteurs de l’économie morale dont ils sont l’expression. S’ils constituent une source de nourriture fraiche, ces potagers sont aussi le symbole de critiques adressées au système alimentaire conventionnel et à la société de consommation.
EN:
This article offers an analysis of the form and functions of kitchen gardens, the activities and interactions that take place there, and the meanings they hold for their protagonists. Laid out on private land adjoining a main residence, these vegetable gardens reveal a certain way of being in the world and testify to the transformations that have taken place in home gardening in recent decades. An ethnographic survey conducted in the Quebec region revealed the existence of two models of vegetable gardens: the 20th century archetype and the pluriversal garden. The article explores the aesthetic and productive dimensions of these gardens, the particular relationship to nature and non-humans that characterizes them, as well as the main vectors of the moral economy of which they are the expression. If they constitute a source of fresh food, these vegetable gardens are also the symbol of criticisms addressed to the conventional food system and to the consumer society.
Comptes-rendus de lecture
-
Perspectives critiques et analyse territoriale. Applications urbaines et régionales, Hélène Bélanger et Dominic Lapointe (dir.), Québec, Presses de l’Université du Québec, 2019, 224 p.
-
Nos enfants sous microscope. TDA/H, hauts potentiels, multi-dys & Cie : comment stopper l’épidémie de diagnostics, Emmanuelle Piquet et Alessandro Elia, Paris, Payot, coll. « Psychologie », 2021, 332 p.
-
Del fascismo al populismo en la historia, Federico Finchelstein, Buenos Aires, Taurus, 2019, 407 p.
-
Les émotions de la terre. Des nouveaux mots pour un nouveau monde, Glen Albrecht, Paris, Les liens qui libèrent, traduit de l’anglais par Corinne Smith, 2020 [2019], 370 p.