Volume 39, Number 1, Spring 2011 Esthétiques numériques. Textes, structures, figures Guest-edited by Bertrand Gervais and Alexandra Saemmer Guest-edited by Bertrand Gervais and Alexandra Saemmer
Table of contents (11 articles)
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Présentation : Esthétiques numériques. Textes, structures, figures
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Pour une poétique de la diffraction de l’oeuvre littéraire numérique : l’archive, le texte et l’oeuvre à l’estompe
René Audet and Simon Brousseau
pp. 9–22
AbstractFR:
Abandonnant le fanatisme du lecteur-auteur dans un environnement centré sur les hyperliens, l’expérimentation littéraire en ligne connaît depuis le tournant du millénaire une diversification de ses manifestations et de ses formes ; on y cherche moins à affirmer les traits de l’hypertextualité qu’à construire avec la dématérialisation propre au numérique. Cet article s’intéresse à la transformation de la notion d’oeuvre dans ce contexte, à la lumière d’une réflexion sur la composition, la mise en recueil et la fragmentation. Il met à l’épreuve l’hypothèse selon laquelle plusieurs oeuvres d’écrivains actuels s’élaborent dans un double mouvement de diffraction des contenus et d’accumulation archivistique, estompant ainsi l’identité propre de chacun des projets esthétiques au profit d’une saisie stratifiée et réticulée d’une oeuvre-archive mosaïquée. Les sites Le Tiers Livre de François Bon et Désordre de Philippe De Jonckheere constituent des exemples types de cette exploration d’une démarche créative arrimée au numérique, sous l’égide de la mémoire, de la remobilisation, de la photographie et de la fabulation.
EN:
In a departure from the fanaticism of the reader-as-writer in hyperlink oriented environments, online literary experimentation since the turn of the millennium has seen a diversification of its forms and manifestations. The aim has become less that of asserting the features of the hypertext itself than of constructing works by playing with the dematerialization particular to the digital medium. This article focuses on the transformation of the concept of work («oeuvre») in such a context, in light of a reflection upon the aspects of composition, collection and fragmentation. It tests the hypothesis according to which various works of contemporary writers are elaborated according to a dual movement, part diffraction of content and part archival accumulation, blurring each aesthetic project’s particular identity in favour of a stratified and reticulated work-archive mosaic. François Bon’s site Le Tiers Livre and Philippe De Jonckheere’s site Désordre provide two typical examples of this exploration of a creative process bound to the digital world under the auspices of memory, remobilization, photography and storytelling.
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De la confirmation à la subversion : les figures d’animation face aux conventions du discours numérique
Alexandra Saemmer
pp. 23–36
AbstractFR:
Dans le domaine du discours numérique, le terme « figure » s’est rapidement imposé pour circonscrire certains phénomènes de sens émergeant du couplage entre le mouvement, la manipulation et le texte ou l’image. Un transfert direct des figures linguistiques dans le domaine du discours numérique semble néanmoins problématique à cause de la nature pluricode de ces couplages. Dans cet article, nous nous concentrons sur le couplage texte/image–mouvement. Notre but est de compléter les approches existantes par une analyse sémio-rhétorique identifiant avec précision les procédés par lesquels les « figures d’animation » soulignent, confirment ou subvertissent les conventions du discours numérique.
EN:
In the field of digital discourse, the term “figure” rapidly emerged to define certain phenomena of meaning arising from the “coupling” between movements, manipulation, and texts or images. However, a direct transfer of linguistic figures into the field of digital discourse seems to be problematic considering the pluricode nature of these couplings. In this article, I will focus on the relationship between text or images and movements. I intend to complete the existing approaches with a semio-rhetoric model which helps to identify more precisely the processes used by “animated figures” to highlight, confirm or subvert the conventions of digital discourse.
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Des figures de manipulation dans la création numérique
Serge Bouchardon
pp. 37–46
AbstractFR:
Les créations numériques en ligne, qu’il s’agisse de bannières publicitaires, de littérature ou d’art numériques, reposent souvent sur des manipulations de la part du lecteur (par exemple déplacer un élément à l’écran, activer un lien, entrer du texte au clavier). Nous manquons néanmoins d’outils, notamment sémiotiques et sémio-rhétoriques, pour analyser le rôle de ces gestes de manipulation dans la construction du sens. Dans cet article, nous proposons un modèle d’analyse en cinq niveaux. Ce modèle distingue notamment des unités sémiotiques de manipulation et des couplages média. Ces couplages donnent naissance à des figures que nous appelons figures de manipulation.
EN:
Online digital creations, whether they are advertising banners, digital literature or digital art, often rely on gestual manipulations from the reader (for instance to move an element on screen, to activate a link, to enter text with the keyboard). However, we lack tools to analyze the role of these gestual manipulations in the building of meaning, notably semotic and semio-rhetoric tools. In this paper, we propose a five-level analysis model. This model points out semiotic manipulation units and media couplings. Theses couplings make up figures that we call figures of manipulation.
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Fidget de Kenneth Goldsmith, entre poésie visuelle et norme procédurale
Yan Rucar
pp. 47–56
AbstractFR:
Issu d’une procédure contraignante, le texte Fidget de Kenneth Goldsmith apparaît sur plusieurs supports. Ces versions respectent toutes l’intégralité du texte d’origine, mais en affectent radicalement l’aspect visuel. Sur l’écran électronique, Fidget fait apparaître un langage qui, sous l’effet de jeux de texture tels que l’encombrement et la mobilité, succombe à un graphisme aliénateur. Le langage de Fidget, fragmentaire dès l’origine du texte, se prête en vertu de cette structure à une insertion dans une composition qui n’est pas proprement textuelle ou picturale, mais participe de ces deux domaines. Or, des textes picturaux, pétris tout à la fois de significations figurales et de désignations linguistiques, émanèrent de la pratique poétique concrétiste, instaurée par le groupe Noigandres de São Paulo à partir de 1957. Poète visuel, Charles Bernstein propose dans Veil (1976) l’exemple opposé d’une textualité écrasée par la figuralité. Comment la version électronique de Fidget, avec ses facteurs visuels, interagit-elle avec le modèle procédural ? Comment le texte devient-il une composante d’un écran combinant mobilité et visualité ? Cette interrogation sera informée par le modèle antérieur de la pratique concrétiste de 1957 et par l’oeuvre Veil de Charles Bernstein.
EN:
Written under constraints, Fidget by Kenneth Goldsmith appears in different media. Each version respects the integrality of the original text, while radically affecting its visual aspect. On the electronic screen, Fidget presents a language which, under the effects of the mobility and the overcrowding of textual fragments, succumbs to an alienating graphic design. The language of Fidget, fragmentary since the inception of the text, allows because of its structure an insertion into a composition which is neither intrinsically textual nor graphic, but pertains to these two fields. Graphic texts, made up of iconic meanings and linguistic denominations, emerged from the Concretist poetic practice, initiated in 1957 by the group Noigandres from São Paulo. A visual poet, Charles Bernstein offers in his work Veil (1976) the opposite example of a form of textuality crushed by its iconic aspects. How does the electronic version of Fidget, with its visual factors, interact with the original set of writing constraints ? How does the text become a component of a screen defined by its mobility and visual aspects? This problematic will be informed by the prior example of the concretist practice of 1957 and by the work Veil by Charles Bernstein.
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Karoline Georges et les objets de sublimation
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Poétique du hasard et de l’aléatoire en littérature numérique
Jean Clément
pp. 67–76
AbstractFR:
L’esthétique de la littérature numérique réside en partie dans l’usage massif de la fonction aléatoire et dans la rencontre hasardeuse entre la causalité de l’interacteur et celle de la machine. Si le hasard a toujours joué un rôle dans la création littéraire, avec l’ordinateur il prend un tour singulier qui pourrait bien être le signe distinctif de la littérature numérique, dans sa production comme dans sa réception.
EN:
The aesthetics of digital literature lies partly in the massive use of the random function and the chance meeting between the causality of the interactor and that of the machine. Whereas chance has always played a role in literary creation, with the computer, it takes a special form that could well be the hallmark of the digital literature in its production as well as in reception.
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Vraie fiction et faux documents : notes éparses sur l'assassinat de Bill Gates
Samuel Archibald
pp. 77–88
AbstractFR:
L’objectif de cet article est d’opérer une lecture au-dedans et au-dehors de la fiction mise en place par le cinéaste Brian Flemming dans son documentaire Nothing So Strange (GMD Studios, 2002), ainsi que dans les documents d’archive et les artéfacts web produits en son sillage. L’univers Nothing So Strange s’attache à décrire l’un des événements historiques les plus importants à n’avoir pas eu lieu au xxe siècle : l’assassinat du président de Microsoft Bill Gates. Nous tenterons de voir comment une grande oeuvre participative (au sens de Jenkins) s’est développée à partir du film de Flemming, témoignage hyperréaliste issu d’un univers parallèle ; comment cinéastes, spectateurs et internautes ont détourné la capacité documentaire de l’archive filmique et numérique afin de se réapproprier la figure historique du complot meurtrier et fournir à la fiction un grand déploiement tentaculaire. Nous interrogerons également les enjeux éthiques et esthétiques de cette stratégie, que Flemming lui-même qualifie de piratage de la réalité («reality-hacking»).
EN:
This paper aims to study Brian Flemming’s mockumentary Nothing So Strange (GMD Studios, 2002) from inside and outside, working on the fictional universe put forward by the film and the various documents and web artefacts produced in its midst. The Nothing So Strange’s universe features one of the most important historic events that have not happened in the 20th century, and its aftermath: the assassination of Microsoft chairman Bill Gates. We will analyze how a vast participatory work (cf. Jenkins) has sprung out of the movie, a hyperrealist document from a parallel universe; how filmmakers, movie buffs and Internet users have hijacked the power of film and web archives to reinvent the murderous plot as a historical phenomenon? We will also reflect upon the ethical and aesthetical stakes of that peculiar strategy, for which Brian Flemming himself has coined the term “reality- hacking”.
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Esthétique et fiction du flux. Éléments de description
Bertrand Gervais and Anaïs Guilet
pp. 89–100
AbstractFR:
Cet article entreprend de décrire les principales caractéristiques d’une esthétique du flux déployée par des artistes, tels que Grégory Chatonsky, Reynald Drouhin, Leonardo Solaas, Alexandra Saemmer, etc. Cette esthétique repose sur l’utilisation de systèmes et de dispositifs informatiques qui forcent l’internaute à se perdre dans la contemplation d’un flot d’images, de sons et de mots que le cyberespace et son encyclopédie dynamique animent et rendent accessibles. Les figures ainsi générées sont essentiellement imprévisibles et instables, jouant sur des fluctuations constantes des signes, produites à partir de processus complexes inaccessibles à l’internaute, qui doit apprendre à s’approprier ce flux continu. Nous commencerons par expliquer à quelle expérience singulière nous convie le cyberespace. Nous essaierons ensuite de distinguer les trois modalités fondamentales auxquelles il donne lieu. Nous nous arrêterons dans un troisième temps à comprendre le concept même de flux, réflexion qui nous ouvrira la voie à la description des oeuvres hypermédiatiques qui exploitent le flux et ses diverses manifestations. L’esthétique du flux pose d’importants problèmes de spectature et l’on tentera, en conclusion, d’en identifier l’un des enjeux.
EN:
This article attempts to describe the main features of an aesthetic of flow, namely the aesthetic deployed by artists such as Grégory Chatonsky, Reynald Drouhin, Leonardo Sola, Alexandra Saemmer, etc. The aesthetic of flow is based on the use of computer systems and devices that generate a stream of images, sounds and words. These data, present in cyberspace, are diverted through complex processes and used to form original figures, which are essentially unpredictable and unstable, constantly shifting. As spectators, we must learn to understand these streams of images and sounds, and to give them meaning. We will begin by describing cyber-space and the specific experience it proposes. We will then try to distinguish the three basic modes of representation it gives rise to (trace, presence and flow). Finally, we will try to better understand the notion of flow, before describing some of the hypermedia art that exploits its various manifestations. The aesthetic of flow poses significant problems in terms of reading or interpretation, and we will try, in conclusion, to identify at least one of these issues.
Hors dossier
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Le recadrage dans la naissance des idées innovantes ou comment favoriser la créativité en s'inspirant des théories développées par les SIC
Céline Bryon-Portet
pp. 103–110
AbstractFR:
Existe-t-il des outils contribuant efficacement à améliorer le processus d’innovation, et, si oui, les Sciences de l’information et de la communication (SIC) peuvent-elles participer de ce processus ? Nos recherches nous ont amenée à explorer une abondante littérature scientifique, puis à nous entretenir avec des enseignants chercheurs spécialisés dans le génie chimique et le génie industriel, secteurs particulièrement tournés vers l’innovation. Nous avons alors décelé des similitudes entre certaines méthodes destinées à stimuler la créativité, et des notions familières aux théoriciens de la communication. Nous avons pu formuler l’hypothèse que de nombreuses pratiques élaborées dans le domaine de l’ingénierie et du management de projet, visant à impulser l’innovation, utilisent le concept de recadrage tel que les chercheurs du Collège invisible l’ont défini et développé, sans pour autant le nommer comme tel ni même le formaliser. Nous en ferons ici la démonstration à partir de l’étude de quelques exemples concrets, et en nous appuyant sur les théories fondatrices de la pensée innovante élaborées par Genrich Altshuller et Edward de Bono.
EN:
This study began with a few questions : how to favour creativity? Are there tools capable of increasing the innovation process? Can information and communication sciences contribute to this process? After having explored scientific literature, we interrogated some engineers working in chemical and industrial engineering. Strangely, we found some similitudes between the methods used by engineers and the notions used by communicants. In particular, refocusing, as defined by members of an invisible college, seems to be a precious implement when researchers want to innovate in a technical sector, or in a management project. We shall try to demonstrate this thesis by analysing two famous researchers, specialised in innovation: Genrich Altshuller, who invented a method called TRIZ, and Edward de Bono, specialised in lateral thinking.
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Tous les performatifs en deux forces. Introduction au « système JP »
Albert Assaraf
pp. 111–120
AbstractFR:
Cet article tente de pousser jusqu’aux ultimes conséquences l’hypothèse selon laquelle les performatifs n’ont qu’une fonction : lier. Pour ce faire, il se propose de retrouver la plupart des performatifs juste en combinant les deux uniques constituants du lien : la jonction (con-jonction ou dis-jonction) déterminée par un axe horizontal intérieur/extérieur, et la position déterminée par un axe haut/bas, d’où le « système JP ». Il ressort de cette combinatoire jonction/position que les performatifs obéissent à sept grandes formes de jeux relationnels, reproductibles à souhait par un langage machine – chose aujourd’hui impossible avec les catégories d’Austin et Searle. Sept grandes formes de jeux rendent désormais envisageable, selon le voeu de Greimas, une fusion harmonieuse entre pragmatique et sémiotique.
EN:
This article attempts to push to its ultimate limits the theory that performatives have one function only: to link humans together. To achieve this issue, this article tries to retrieve most of performatives just by combining the two elements of the human relation: junction (con-junction or dis-junction), characterized by a horizontal axis inside/outside and position characterized by a vertical axis up/down. Hence the “JP system’’. It appears in this junction/position combination, that performatives obey seven main types of relational games, which can be easily simulated by a computer language. This is impossible with Austin and Searle’s categorization of the language. Seven types of games allow, as Greimas wishes, a harmonious fusion between pragmatics and semiotics.