FR:
Depuis l’arrêt Bibeault, la Cour suprême du Canada tente de circonscrire le champ de compétence des tribunaux spécialisés du travail à l’aide d’une grille d’analyse qu’elle qualifia de « pragmatique et fonctionnelle ». Aussi, cherchons-nous à savoir si cette démarche permet d’obtenir des résultats assez certains et suffisamment prévisibles pour que l’on puisse, du même coup, connaître ou reconnaître les réelles coordonnées de la réserve judiciaire à l’endroit des tribunaux spécialisés du travail. À ces fins, nous rappelons la définition de cette démarche qu’en donnèrent certains membres de la Cour suprême puis, l’application qu’ils en firent en quatre arrêts récents.
Cette première partie permet par la suite d’effectuer une analyse critique de la démarche réellement retenue par ces mêmes juges. Il s’agit alors de savoir comment les usagers d’une même grille d’analyse et qui se veut pragmatique et fonctionnelle, aboutissent néanmoins à des dissidences, à des résultats divergents.
On peut comprendre que le simple usage d’un même instrument ou moyen ne peut être une garantie de la qualité du résultat ni davantage, qu’il sera le même sans égard à l’instrumentiste. Outre la démarche suivie, ce qui importe avant tout et d’abord consiste à bien cerner la question. Cette dernière donne l’orientation générale, impose ses propres contraintes et conduit inéluctablement son auteur à un résultat qui lui est tributaire. Si cet énoncé répond d’une logique simple, il explique également qu’en ces arrêts les juges dissidents ne partagèrent pas la question retenue par leurs collègues de la majorité. Tout en empruntant la même démarche d’analyse pragmatique et fonctionnelle, on ne peut être surpris que leurs conclusions diffèrent. Puisque nous ne faisons pas de « psychologie judiciaire », nous évitons de tenter de savoir pourquoi ou comment ces juges posèrent respectivement autrement la question à laquelle ils croyaient devoir répondre. À tout le moins, on ne saurait être convaincu de la justesse d’une conclusion du tribunal de contrôle du simple fait de l’emploi de l’approche pragmatique et fonctionnelle. En chaque cas, il nous faut aussi analyser la qualité de la question choisie et la démarche suivie en chacune des étapes pour mieux apprécier ou jauger la conclusion finalement retenue.
EN:
Since the Bibeault case, and by using an analytical chart which it described as “pragmatic and functional”, the Supreme Court of Canada is attempting to narrow the range of competence of specialized labour tribunals. Does this way of functioning allow us to obtain sure and predictable results so that we may at the same time, recognize the real coordinates of judicial reserve in regards to specialized labour tribunals? With this objective in mind, we will examine the Supreme Court’s definition of this procedure, and the way it was applied in four recent cases.
This first part allows us to critically analyze the procedure that really was used by these judges. It is important to understand how it is that those who used the analytical charts, which are supposed to be pragmatic and functional arrived to diverging results.
We can understand that the simple use of the same instrument or means will not guarantee the quality of the result nor that it will be the same one regardless of the person using the instrument. The most important thing, other than the procedure, is the delimitation of the question. The latter indicates the general orientation, imposes its own constraints and brings forward a result that can only be attributed to its author. This explains why in these cases the dissenting judges did not share the majority's question. Although they used the same pragmatical and functional approach, we can not be surprised that their conclusions differ. We will not attempt “judicial psychology”, and will avoid analyzing the reasons which explain the different ways that these judges respectively asked the question that they later had to answer. Nevertheless, the fact that the pragmatic and functional approach was used is not enough to convince us of the control tribunals conclusions. In every case, we have to analyze the quality of the chosen question and the followed procedure, step by step, in order to better appreciate or judge the final decision.