Volume 20, numéro 2, 2020 Les catégories linguistiques et ethnoculturelles : avancées et écueils Sous la direction de Michel Pagé et Patricia Lamarre
Sommaire (8 articles)
-
Introduction
-
Catégories et frontières. Le recensement et la construction sociale, politique et scientifique des groupes ethnolinguistiques au Canada
Jean-Pierre Corbeil
p. 13–33
RésuméFR :
L’objectif de cet article est de montrer que l’utilisation et l’analyse des données sur la langue à partir du recensement canadien par les acteurs scientifiques et politiques se sont faites la plupart du temps selon une perspective fondée sur l’ethnicité et l’origine des ancêtres. Cette perspective « ethnicisante » a grandement contribué à la construction sociale, politique et scientifique des groupes linguistiques, au Québec en particulier, ainsi qu’à une consolidation de leurs frontières. L’article établit de quelle façon, grâce aux données linguistiques et au champ disciplinaire de la démolinguistique, se sont opérés les processus de définition et de catégorisation des principaux groupes linguistiques que l’on connaît aujourd’hui. En raison de l’évolution importante de la composition ethnoculturelle de la population au cours des quarante dernières années, l’article montre qu’il est nécessaire de revoir le paradigme traditionnel ethnicisant des groupes linguistiques et de faire une place importante à un nouveau paradigme centré sur la langue et sur une mesure inclusive de la diversité des identités et des pratiques linguistiques multiples.
EN :
This paper aims to show that the use and analysis of language data from the Canadian census by the various scientific and political actors have generally been carried out from the perspective of ethnicity or ancestral origin. Such an “ethnicizing” perspective has largely contributed to the social, political and scientific construction of language groups, particularly in Quebec, and to the consolidation of their boundaries. Through language data and the field of demolinguistics, this paper shows the ways in which processes of definition and categorization have occurred in relation to language groups as we know them today. Due to the significant change in the ethno-cultural composition of the population over the past forty years, the article shows that there is a need to review the traditional ethnicizing paradigm of language groups and to make room for a new paradigm focused on language and on a more inclusive measure of the diversity of identities and multiple linguistic practices.
-
Cinq catégories d’interactions verbales dans l’espace public
Michel Pagé, Patricia Lamarre et Jean-Pierre Corbeil
p. 35–54
RésuméFR :
Une méthodologie éprouvée pour l’étude de l’usage des langues dans l’espace public est nécessaire pour évaluer la place du français au Québec. Les données de recensement sur la langue de travail ne peuvent que partiellement combler ce besoin d’information, car le travail n’est qu’une des situations de la communication publique, certes très importante, et les données le concernant ne touchent que la proportion active de la population. Les méthodes élaborées jusqu’à maintenant pour étudier l’usage des langues dans la communication interactive en public au travail et hors du travail font l’objet d’une discussion critique dans cet article. Il en découle que la méthodologie doit encore être améliorée. L’amélioration pourrait venir d’une conceptualisation plus élaborée de ce qu’est la communication publique hors du travail et au travail. Cet article propose, en ce sens, qu’une conceptualisation basée sur les buts de la communication interactive pourrait servir de fondement à l’élaboration d’un indicateur. Une typologie de faits de communication courants en situation publique de communication interactive est proposée.
EN :
In efforts to measure the use of language in respect to the goals of Quebec’s linguistic policy, an indicator that provides information on the use of language in public interactions is needed. Census data on the language used in the workplace provides critical data but answers only partially the need for information on language use in the population, since it limits data to those active in the workplace, which furthermore represents only one type of situation within what is understood as “public interaction/communication.” In this article, we offer a critical overview of different efforts previously undertaken to measure language in public interactions beyond the workplace. We conclude that the methodology and tools used to collect data on public use of language need to be sharpened. These could be improved by a more refined conceptualization of language use outside of the home. We propose that a conceptualization which considers the goals of language use within public interactions could serve as the basis for a better indicator on language use. A typology of communicative facts in situated public interactions is proposed in conclusion.
-
Categorizing Languages and Speakers: Processes of Erasure in Data Treatment and Presentation
Brigitta Busch
p. 55–77
RésuméEN :
This article examines how census data are processed by statistical offices. It first investigates how the language categories displayed in language statistics are actually elaborated. It then considers the mechanisms by which speakers are assigned to specific language categories. It addresses the language ideologies underlying both these processes and the ways in which a certain view of the world is thus reproduced and reinforced. Finally, it discusses how these practices are linked with the paradigms of statehood and territoriality, and how they have been developed historically in the contexts of colonization and of ethno-national conflict. The paper draws on censuses and statistics in Austria to explore these questions, but the procedures used correspond to those in other countries that follow the guidelines set by the Conference of European Statisticians (2015).
FR :
Cet article propose une réflexion sur les processus adoptés par des agences censitaires dans la génération de données. Dans un premier temps, nous examinons la construction des catégories utilisées dans des données censitaires. Par la suite, nous discutons des mécanismes adoptés pour attribuer des interlocuteurs à des catégories linguistiques spécifiques. L’étude critique de ces deux processus met en lumière la présence d’idéologies sous-jacentes et comment une certaine vision du monde est reproduite et renforcée par les données censitaires. Finalement, une discussion est entreprise sur la manière dont ces processus ont été développés historiquement dans des contextes de colonisation et de conflits ethno-nationaux. Dans ce texte, nous utilisons des données censitaires et statistiques autrichiennes pour approfondir et illustrer notre réflexion, mais nous élargissons notre réflexion pour examiner des procédures d’autres pays qui suivent, comme l’Autriche, les critères établis par la Conference of European Statiscians (2015).
-
Sur les traces des minorités ethnoculturelles dans certaines banques de données au Québec
Elke Laur
p. 79–103
RésuméFR :
Les minorités ethnoculturelles au Québec sont souvent appréhendées comme si elles formaient une entité monolithique, malgré l’hétérogénéité évoquée par le pluriel d’usage du terme. Cette hétérogénéité sous-entendue reste pourtant floue et variable selon les définitions, les compilations et les données récoltées par différentes sources pouvant nous renseigner sur leur présence, sur leurs caractéristiques, voire sur leurs comportements (telles les données administratives gouvernementales ou les données officialisées par Statistique Canada, recensements et enquêtes). Si toute mesure de la présence de ces minorités au sein de la population est tributaire de leur conceptualisation ou de leur définition, elle l’est encore davantage de la possibilité de retracer cette présence concrètement dans des banques de données. En effet, peu importe les définitions, ce sont les données qui permettent d’alimenter ou non ces aspirations théoriques ou conceptuelles et qui finissent, par le fait même, par les substituer. L’article retrace de façon inductive les différentes variables pouvant rendre compte, d’une façon ou d’une autre, de la diversité ethnoculturelle au sein de la population québécoise, en faisant l’hypothèse que l’accessibilité des données tient très souvent lieu de définition implicite.
EN :
In Quebec, ethnocultural communities are often apprehended as though they were one monolithic group, despite the habitual pluralization of the term. Heterogeneity, although implied, remains blurred and varies according to the definitions and the compilation and data collection approaches adopted by the sources which provide information on the presence, traits and even behaviors of minority groups (gathered through administrative data and through census and other surveys undertaken by Statistics Canada). Any measurement of the presence of minorities within a population is tributary to how populations are conceptualized or defined, but this is all the more true for how the presence of minorities is actually tracked in different data bases. In effect, regardless of definitions, it is data that sustains (or not) conceptual and theoretical aspirations and which can eventually come to replace these. This text retraces inductively the existence of different variables which can in one way or another help to infer the presence of ethnocultural diversity within Quebec’s population, working with the hypothesis that data not only relies more often than not of an implicit definition, but that this same data ends up substituting these definitions.
-
Travailleurs immigrants. Les enjeux de la surveillance en matière de santé au travail
Sylvie Gravel
p. 105–129
RésuméFR :
Contrairement aux services publics, la santé et la sécurité au travail (SST) ne disposent pas de données permettant de surveiller l’état de santé des travailleurs immigrants, temporaires et permanents, victimes des inégalités de santé liées à la précarité de leurs conditions d’emploi. Pour calculer la fréquence des lésions chez ces travailleurs, il faudrait apparier les bases de données concernant les réclamations pour une lésion professionnelle avec celles des personnes ayant immigré au cours des dernières années. Pour évaluer la gravité des lésions, il faudrait explorer les données concernant les sources de revenus des immigrants dans les fichiers d’immigration, et ce, en repérant les revenus d’indemnisation pour les lésions professionnelles. Ce texte propose de mobiliser des compétences de recherche pour documenter l’état de santé des travailleurs immigrants et développer des approches de prévention équitables.
EN :
Unlike public services, occupational health and safety (OHS) do not have data to monitor the health status of immigrant workers, temporary and permanent, victims of health inequalities related to the precariousness of their conditions of employment. To calculate the incidence of injuries among these workers, databases of claims for an employment injury should be matched with those of immigrants who have immigrated in recent years. To calculate the severity of the injuries, data on immigrants’ sources of income in immigration files should be explored, identifying compensation income for occupational injuries. This paper proposes to mobilize research skills to document the health status of immigrant workers and develop equitable prevention approaches for immigrant workers.
Hors thème / Off-Theme
-
Les fêtes traditionnelles dans le quartier portugais de Montréal. Identité ethnolinguistique et culturelle
Fabio Scetti
p. 131–150
RésuméFR :
Cet article présente un éventail des fêtes religieuses célébrées par la communauté portugaise de Montréal. Ces fêtes présentent des enjeux importants de transmission intergénérationnelle et constituent l’un des principaux aspects de la définition de l’identité ethnolinguistique et culturelle du groupe. La communauté est installée à Montréal depuis les années 1950 dans ce qui est un véritable exemple de quartier ethnique qui s’insère dans le schéma multiculturel de la ville. Le portugais, principale langue parlée par le groupe, partage les espaces d’usage avec le français et l’anglais, dans un paysage plurilingue. Cet article est basé sur une étude ethnographique réalisée entre 2011 et 2018 et vise à montrer de quelle manière cette communauté a conservé son identité culturelle et linguistique dans le temps. Les descendants de cette migration, de différents âges et générations, sont conscients de l’importance actuelle du portugais, pour l’avenir de la communauté, et de l’importance du maintien des traditions et de la culture propres au groupe. Grâce à une analyse discursive, nous avons pu observer à quel point les représentations sur la langue et sur les pratiques langagières et culturelles sont importantes pour définir ou remettre en question l’identité du groupe.
EN :
This article presents a range of religious festivities celebrated by the Portuguese community of Montreal. These festivals provide insight of intergenerational transmission and constitute one of the main aspects of the definition of the group’s ethnolinguistic and cultural identity. The community is based in Montreal since the 1950s in a real example of ethnic neighborhood that fits into the multicultural pattern of the city. Portuguese is the main language spoken by the group. This language shares the spaces of use with both French and English, in a multilingual landscape. This contribution is based on an ethnographic study conducted between 2011 and 2018 and aims to show how this community has preserved its cultural and linguistic identity over time. The descendants of this migration, of different ages and generations, are aware of the current importance of Portuguese for the future of the community, and the importance of maintaining the group’s own traditions and culture. Thanks to discursive analysis, we have seen how representations about language and cultural practices are important for defining or questioning the collective identity of the group.