Numéro 81, 2018 Emploi, travail et compétences à l’épreuve du numérique Sous la direction de Amélie Bernier et Sylvie Monchatre
Sommaire (13 articles)
Section 1 – Les nouvelles formes d’activités et d’emplois liées au numérique
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Quel droit du travail à l’ère des plateformes numériques ?
Gwenola Bargain
p. 21–40
RésuméFR :
Le développement du recours au travail par intermédiation numérique s’accompagne de l’essor du travail à la demande, dans un contexte de reconfiguration des rapports de production. Le modèle économique des plateformes numériques, désigné par le terme d’« ubérisation », repose sur le recours à une main-d’oeuvre flexible, disponible, peu coûteuse et supportant les risques de l’activité. Le débat juridique se cristallise alors autour des tentatives de qualification, sur fond de contentieux impliquant les entreprises phares de cette « industrie » : le travailleur du numérique est-il un salarié, un indépendant, un semi-indépendant ? Faut-il créer un statut propre à cette forme d’activité ? L’enjeu de l’adaptation du droit du travail à cette révolution numérique implique alors de considérer la dépendance économique dans laquelle se trouvent les travailleurs de cette économie pour déterminer les voies menant à l’amélioration de leur protection. Cette étude examine ces questions au regard du cadre juridique français.
EN :
The rise of crowdworking goes with the growth of the on-demand work in a context of a new pattern of systems of production. The digital platforms business model, so-called “uberization”, is built on a flexible, available and low-cost workforce bearing the risks of the activity. The legal debate focuses on questions of classification, against the backdrop of litigation involving the leading firms of this “industry”: is the digital worker an employee, an independent contractor, a semi-independent? Should a legal category specific to this form of activity be created? The challenge of the adaptation of labour law to this digital revolution requires considering the economic dependence of the digital workers in order to promote a better labour protection. This study deals with these issues in the light of the French legal framework.
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Comprendre l’impact du numérique sur la gestion de projet en construction
Conrad Boton et Daniel Forgues
p. 41–60
RésuméFR :
L’industrie de la construction à travers le monde fait actuellement face à des changements considérables sous l’effet des technologies numériques. Au nombre des approches technologiques, l’approche BIM (Building Information Modeling) de modélisation des données du bâtiment a reçu une attention considérable ces dernières années, aussi bien de la part des chercheurs que des professionnels de l’industrie, et son succès grandissant semble avoir ouvert la voie à de grands changements de paradigme dans l’industrie. Face à ces changements, les compétences traditionnelles des professionnels ou des gestionnaires de projet ne semblent plus suffisantes pour gérer la nouvelle perspective informationnelle de gestion des projets de construction. De nouvelles compétences deviennent nécessaires, incarnées par de nouveaux rôles (gestionnaires BIM, coordonnateurs BIM, modeleurs BIM, gestionnaires de l’information, etc.) qui prennent de plus en plus d’importance dans les projets. Certains travaux ont étudié ces nouveaux rôles sur un plan théorique sans toutefois aborder la question de leur positionnement par rapport aux rôles traditionnels en gestion de projet ni comment les gestionnaires de projet et les spécialistes BIM se positionnent par rapport aux processus génériques proposés dans les guides d’implémentation BIM.
Cette étude de cas montre que les rôles des spécialistes BIM ne sont pas les mêmes d’une discipline à l’autre et que ces rôles ne sont pas seulement des rôles techniques. En outre, le sous-processus d’information semble se cristalliser autour des gestionnaires BIM, ce qui tend à créer deux sources de leadership dans un projet : les gestionnaires BIM et les gestionnaires de projet. L’étude révèle également que les praticiens trouvent que les processus de collaboration BIM proposés dans le plan de mise en oeuvre BIM et dans les documents de projet sont trop génériques et qu’il existe généralement un écart entre ces processus et ceux réellement utilisés dans le projet.
EN :
The construction industry is currently undergoing significant change as a result of digital technologies. Among the technological approaches, the Building Information Modeling (BIM) approach has received considerable attention in recent years from both researchers and industry professionals, and its growing success seems to have opened the door to major paradigm shifts in the industry. Faced with these changes, the traditional skills of project professionals or managers no longer seem sufficient to manage the new information perspective of construction project management. New skills become necessary, embodied by new roles (BIM managers, BIM coordinators, BIM modeler, information managers, etc.) that are becoming increasingly important in projects. Some studies have studied these new roles on a theoretical level, without addressing the question of their positioning in relation to traditional roles in project management, nor how project managers and BIM specialists position themselves in relation to the generic processes proposed in the BIM implementation guides.
This case study shows that the roles of BIM specialists are not the same from one discipline to another, and that these roles are not just technical roles. In addition, the information sub-process seems to crystallize around BIM managers, which tends to create two sources of leadership in a project: BIM managers and project managers. The study also reveals that practitioners find that the BIM collaboration processes proposed in the BIM implementation plan and in the project documents are too generic and that there is generally a gap between these processes and those actually used in the project.
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Le salariat comme mode de domestication de l’ubérisation des prestations intellectuelles ? Le cas des entreprises de portage salarial
Alexis Louvion
p. 61–81
RésuméFR :
À travers l’exemple du portage salarial, cet article propose d’explorer les liens entre statut d’emploi et compétences nécessaires à la réalisation du travail à l’ère du capitalisme numérique. Cette forme d’emploi, qui permet à des travailleurs indépendants d’acquérir le statut de salarié par la signature d’un contrat de travail avec un tiers employeur (l’entreprise de portage salarial), participe ainsi d’une redéfinition des rôles d’employeur et de salarié, tout en transformant la façon dont les liens marchands s’opèrent entre client et travailleur. En nous appuyant sur des entretiens avec les salariés portés, des entretiens avec des directeurs et des permanents des entreprises de portage, ainsi que sur une revue de presse, nous chercherons à explorer les impacts de l’ubérisation sur une population souvent ignorée par ces analyses : les professions intellectuelles. Nous nous demanderons ainsi comment un type spécifique de plateformes, les entreprises de portage salarial, se présentent en rupture avec les autres plateformes numériques et contribuent à la pluralisation des compétences mobilisées par les portés dans l’exercice quotidien de leur travail.
EN :
Through the example of « portage salarial », this article explores the links between employment status and competences at the era of digital capitalism. This form of employment, that allows independent workers to get employee status by signing an employment contract with this third-party employer, feeds the redefinition of employer, employee and client roles. Based on interviews with those who use those companies and portage salarial companies’directors, and a press review, we will explore the consequences of uberization on a population that is rarely taken into account when dealing with this theme: the intellectual professionals. We will then ask how a new kind of platform, presenting themselves as breaking with other platforms, contribute to the pluralisation of workers.
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Technologies numériques et transformations des industries : considération des effets de la numérisation du service des transports publics individualisés en France
Roger Thierry Malack
p. 82–101
RésuméFR :
En France, la transformation des transports publics particuliers de personnes (T3P) s’accompagne de l’apparition des plateformes numériques, autour desquelles se développent de nouveaux services de mobilité. L’expansion de ces nouveaux acteurs et les spécificités de leur modèle économique sont à l’origine de nombreuses transformations. Elles éprouvent les fondements traditionnels de l’économie des activités concernées, la structure de l’industrie et celle du marché. Les dysfonctionnements inhérents à ces évolutions ont des répercussions sur les conditions socio-économiques des chauffeurs et sur l’agencement des métiers.
Cet article appréhende les effets de la numérisation des services dans le secteur des transports individualisés. Il montre comment l’agrégation des ressources technologiques et les transformations de l’environnement politique et économique contribuent à l’émergence d’un nouvel ordre dans lequel se déploient des pratiques commerciales qui affectent la structure des métiers, les relations d’emploi et les conditions de travail.
EN :
In France, the reform of the individualized transport sector comes along with the emergence of new digital platforms, around which new mobility services are being developed. The expansion of these new players and the specific characteristics of their economic model are causing many transformations. They test the traditional foundations of the economy of the involved activities, the structure of the industry and that of the market. The dysfunctions that are inherent to these developments have repercussions on the socio-economic conditions of the drivers and their work layout.
This article discusses the effects of service digitization in the individualized transport sector in France. It shows how the aggregation of technological resources and the changes in the political and economic environment contribute to the emergence of a new order in which business practices are being deployed, affecting the structure of trades, employment relations and working conditions.
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Processus d’émergence d’une « jeunesse android » et construction d’une nouvelle figure entrepreneuriale à l’ère de l’économie numérique au Cameroun : le téléchargeur des productions culturelles à Yaoundé
Merlin Ottou
p. 102–120
RésuméFR :
À l’heure de la globalisation de l’économie numérique, la démocratisation des usages sociaux des outils technonumériques par les populations favorise l’émergence d’une nouvelle filière de prestations dans le secteur informel au Cameroun. Cet article se propose d’analyser de quelle manière des jeunes, confrontés à la précarisation croissante de leurs conditions de vie, convertissent leurs compétences numériques en exerçant l’activité de « téléchargeur » des productions culturelles en milieu urbain. L’étude repose sur une enquête ethnographique, combinant des entretiens et une observation participante. Elle montre que les jeunes, dans leur dynamique d’auto-prise en charge au quotidien, mobilisent leur imagination et leurs capacités entrepreneuriales. Espace d’opportunités économiques, la ville laisse entrevoir de quelle manière l’appropriation de la culture numérique par les téléchargeurs structure les rapports sociaux de genre, contribuant à la production d’une identité masculine dans l’espace public. En investissant la rue, ces jeunes entretiennent, entre eux, des interactions socialement hiérarchisées, tandis que leurs relations avec les agents de la brigade municipale chargés de la régulation de l’occupation de l’espace urbain sont travaillées par des enjeux de pouvoir et des pratiques de corruption ; lesquelles structurent en partie le fonctionnement de l’État postcolonial.
EN :
At the time of digital economy, the democratization of the social uses of digital tools by people has given rise a new sector of production in the informal sector in Cameroon. This paper seeks to analyze the way the youth, who are facing the increased worsening of their life conditions, invest their digital skills as an economic opportunity, by exercising the job of "downloader" of cultural productions in urban areas. The study is based on an ethnographic survey combining interviews and the participative observation. It shows how youth, in their self-employment dynamics, mobilize their imagination and entrepreneurial skills. The appropriation of digital technologies by downloaders structures social gender relations, contributing to the production of masculinity in the urban space. By invading the roads, these youth maintain socially hierarchical interactions between themselves, whereas their relationship with employees of the council in charge of regulating the occupation of urban space are characterized by power states and corrupt practices which partly structure the functioning of the postcolonial State.
Section 2 – Les nouveaux espaces et les nouvelles temporalités : flexibilisation, invisibilité et brouillage des frontières
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La compétence numérique de gestion des frontières sur les réseaux sociaux numériques : un capital culturel technologique à la Bourdieu
Ariane Ollier-Malaterre
p. 121–137
RésuméFR :
Certains réseaux sociaux numériques, comme Facebook, Twitter, Instagram ou Google+ par exemple, offrent la possibilité de se connecter à des contacts aussi bien professionnels que personnels, et de partager des informations (messages, photos, vidéos, etc.) relevant des deux domaines. Les cercles sociaux d’un individu, qui sont largement segmentés dans la vie courante, entrent ainsi en collision sur les réseaux sociaux numériques, avec des conséquences parfois très bénéfiques, et parfois très néfastes pour les relations interpersonnelles et pour les réputations professionnelles. Cet article propose une analyse conceptuelle de la gestion des frontières entre identités professionnelle et personnelle sur les réseaux sociaux numériques comme étant une compétence numérique et une forme de capital culturel technologique à la Bourdieu (1979). Dans un premier temps, l’article définit la gestion des frontières entre rôles et identités comme une compétence à part entière. Ensuite, il présente les spécificités des interactions médiées publiques sur les réseaux sociaux numériques par rapport aux interactions directes et aux interactions médiées privées ; ces spécificités impliquent que la compétence de gestion des frontières doit être transposée à la sphère numérique. L’article se poursuit en illustrant cette nouvelle compétence numérique par la présentation d’une typologie de quatre stratégies de gestion des frontières entre identités professionnelle et personnelle sur les réseaux sociaux numériques. Enfin, l’article analyse la compétence numérique de gestion des frontières en ligne comme une forme de capital culturel incorporé et, plus précisément, comme un capital culturel technologique qui agit en tant que capital symbolique permettant de construire et de développer le capital social d’un individu.
EN :
On some online social networks, such as Facebook, Twitter, Instagram or Google+, people connect with professional and personal contacts, and share work and non-work information (e.g., stats, photos, videos). This creates a collision of the different social circles, which otherwise, in everyday life, tend to be segmented. The consequences of this collision may be very beneficial or on the contrary very detrimental to interpersonal relationships and professional reputations. This paper analyzes boundary management between work and non-work identities on online social networks as a digital competency and a form of digital cultural capital à la Bourdieu (1979). First, we argue that boundary management between work and non-work identities can be understood as a competency. Second, we explain how the publicly mediated interactions on online social networks differ from direct and privately mediated interactions, which implies that the boundary management competency needs to be transposed in the digital social world. We then illustrate this digital competency by presenting a typology of four online boundary management strategies on online social networks. Last, we analyze this competency as a form of digital cultural capital that individuals incorporate. We argue that this digital capital acts as a symbolic capital that enables the development and maintenance of an individual’s social capital.
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Caractériser le méta-travail des nomades numériques : un préalable à l’identification des compétences requises
Claudine Bonneau et Lucie Enel
p. 138–155
RésuméFR :
Le travail mobile ne peut pas être simplement exécuté « n’importe où, n’importe quand », puisqu’il implique aussi du méta-travail afin de mobiliser les ressources nécessaires à son accomplissement, et de faire face aux contraintes liées à l’environnement et aux contextes temporel et social dans lesquels il s’insère. Bien que la littérature antérieure issue des champs de la sociologie du travail, de la communication et du travail coopératif assisté par ordinateur ait déjà documenté certaines formes de méta-travail, telles que le travail d’articulation, aucun écrit ne s’est penché sur les particularités associées au nomadisme numérique, qui est une forme extrême de travail mobile permettant aux professionnels d’allier leur intérêt pour le voyage à la possibilité de travailler à distance. Dans cet article, nous présentons cinq formes de méta-travail que nous avons catégorisées en fonction de trois finalités, soit : 1) rendre le site et le mode de travail nomade effectif ; 2) assurer la coordination avec les autres et la continuité du travail à travers différents lieux, moments et projets ; et 3) fonctionner en terre étrangère et voyager. Pour chaque forme de méta-travail, nous détaillons les activités individuelles et interactionnelles impliquées. Bien que le méta-travail ne soit pas exclusif à ce type de travailleurs, il revêt un caractère « cumulatif » pour les nomades numériques, ce qui en accroît l’intensité, et soulève des questions relatives à l’invisibilité et à la responsabilité des activités qui y sont associées.
EN :
Mobile work can not simply be done "anywhere, anytime," since it also involves « meta-work » to mobilize the resources needed to fulfill it and to cope with the environmental constraints of the temporal and social context in which it takes place. Although previous literature from the fields of sociology of work, communication, and computer-supported cooperative work has already documented some forms of meta-work, such as articulation work, no paper has addressed the specifics associated with digital nomadism, which is an extreme form of mobile work allowing professionals to combine their interest in traveling with the possibility of working remotely. In this article, we present five forms of meta-work that we have categorized according to three purposes, namely: 1) to make the site and the mode of nomadic work effective, 2) to coordinate with others and ensure the continuity of work to through different places, times and projects and 3) to operate in a foreign land and travel. For each form of meta-work, we detail the individual and interactional activities involved. Although meta-work is not exclusive to these types of workers, it is "cumulative" for digital nomads, which increases its intensity and raises questions about the invisibility and responsibility of the activities it requires.
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La santé mobile en Belgique : le cas de la télésurveillance de la broncho-pneumopathie chronique obstructive
Cynthia Slomian et Frédéric Schoenaers
p. 156–172
RésuméFR :
Le développement de la santé mobile en Belgique fait partie intégrante du Plan d’action e-Santé 2013-2018. Un projet pilote de télésurveillance de patients atteints de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) s’est déroulé en 2017 sous l’impulsion de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI). Le dispositif met en lien une tablette et des objets connectés, une équipe hospitalière, des patients, des médecins généralistes et une firme privée. La présence de ce dernier actant au sein du réseau sociotechnique (Akrich, 2006a, 2006b ; Callon, 2006) fait toute l’originalité du projet et crée une double médiation, induite à la fois par le dispositif mobile et par les agents de l’opérateur privé. Grâce à une méthode de récolte de données qualitatives alliant entretiens, observations (participantes ou non) et analyses documentaires, nous montrerons comment les actants dévient du script inscrit dans le dispositif technique, mais aussi dans le protocole médical et le manuel d’utilisateur. La double médiation empêche les patients de devenir de véritables agents diagnostiques (Oudshoorn, 2008) et la méfiance (Marzano, 2010) grandissante au sein du système provoque un effet de surveillance mutuelle qui empêchera, à terme, la normalisation du dispositif (Nicolini, 2010).
EN :
The eHealth Action Plan 2013-2018 addresses the implementation of mobile health solutions in Belgium. A pilot project consisting of telemonitoring patients suffering from chronic obstructive pulmonary disease took place in 2017, driven by the National Institute for Health and Disability Insurance. The project gathered a tablet, connected devices, a hospital care team, general practitioners, patients, as well as a private firm. The originality of the project lied in the presence of the latter actant within the sociotechnical network (Akrich, 2006a, 2006b; Callon, 2006). It created a double mediation, both induced by the mobile devices as well as by the agents of the private company. Thanks to a qualitative method of data collection (interviews, observation and documentary analysis), we will show how actants deviate from the script inscribed into the technical devices, the medical protocol and the user manual. The double mediation prevents patients from becoming diagnostic agents (Oudshoorn, 2008). The increasing distrust (Marzano, 2010) within the system leads to mutual surveillance and hinder the normalization of the technical solution (Nicolini, 2010).
Section 3 – Les dispositifs de formation et les compétences à l’épreuve du numérique
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À travers les hypostases du numérique dans l’enseignement supérieur : réflexion critique sur le développement de la culture et des compétences numériques
Laurent Mell
p. 173–191
RésuméFR :
La densification des offres de formation au numérique dans les établissements d’enseignement supérieur français soulève la question de la culture et des compétences numériques qui y sont développées. Dans la continuité d’une enquête réalisée à l’échelle du territoire français sur le dispositif de formation au numérique C2i au sein des établissements d’enseignement supérieur, le présent article propose d’interroger un certain nombre de représentations sur les compétences numériques, la culture numérique et, plus largement, le numérique. En vue de nourrir notre analyse, nous avons fait le choix de traiter d’un corpus de documents — dont la production s’est faite en fonction d’attentes politiques et/ou économiques — portant sur le développement du numérique dans différents domaines (éducation, économie, citoyen, etc.). Parallèlement à cela, ce texte sera l’occasion de discuter des modèles idéologiques qui peuvent sous-tendre quelques-uns des référentiels de formation au numérique aujourd’hui en vigueur. Nous conclurons notre propos autour des finalités de la formation au numérique dans les établissements d’enseignement supérieur français.
EN :
Increasing the number of training in digital in higher education in France raises the question of development of e-skills and digital culture. In continuation of a survey throughout the French territory on the C2i digital training system in universities, this article aims to examine the representations on e-skills, digital culture and more broadly digital. In order to enrich our analysis, we have chosen to deal with a corpus of documents — the production of which was based on political and / or economic expectations — on digital development in different fields (education, economics, citizen, etc.). At the same time, this text will be an opportunity to discuss the ideological models that may underlie some of the current digital training standards. We conclude with the purpose of digital training in higher education in France.
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Utilisation du numérique par les enseignants à l’université : description et analyse des facteurs explicatifs
Amélie Duguet, Sophie Morlaix et William Pérez
p. 192–211
RésuméFR :
Dans cet article, nous nous intéressons à la nature des technologies de l’information et de la communication (TIC) mobilisées par les enseignants universitaires pour enseigner et aux facteurs explicatifs de cette utilisation. Nous procédons d’abord à un éclairage théorique notamment concernant les concepts de « TIC » et d’« utilisation ». Puis, à l’appui des données recueillies en mai 2016 auprès de 248 enseignants d’une université française, nous montrons que les TIC mobilisées par les enseignants à l’intérieur, mais aussi en dehors des heures de cours, sont plutôt d’ordre générique en opposition aux technologies plus sophistiquées. Les enseignants utilisent par ailleurs davantage les TIC en travaux dirigés et en travaux pratiques qu’en cours magistral. Nous analysons ensuite les facteurs, liés aux caractéristiques de l’enseignant ainsi qu’au contexte d’enseignement, tenant un rôle explicatif dans l’utilisation des TIC par les enseignants. Il en ressort que le sentiment de compétence en TIC de l’enseignant et les méthodes pédagogiques mobilisées en cours constituent des variables prégnantes dans l’explication de cette utilisation des TIC. Nous discutons ces résultats au regard de la littérature scientifique existant sur le sujet et proposons plusieurs perspectives de recherche.
EN :
In this article, we are interested in the nature of information and communication technologies (ICT) mobilized by university teachers to teach and the factors that explain this use. First, we proceed to theoretical insights, particularly concerning the concepts of “ICT” and “use”. Then, in support of data collected in May 2016 from 248 teachers at a French university, we show that ICTs mobilized by teachers during and outside class hours can be described as classics. Teachers also use ICT more in tutorials and practical work than in lectures. We then analyze the factors, related to the characteristics of the teacher as well as to the teaching context, which play an explanatory role in the use of ICT by teachers. It emerges that the teacher's sense of ICT competence and the pedagogical methods used in class are important variables in explaining this use of ICT. We discuss these results in the light of the existing scientific literature on the subject and propose several research perspectives.
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La Grande École du Numérique : les paradoxes d’une politique de promotion des formations techniques centrées sur l’apprentissage du code informatique
Michaël Vicente
p. 212–229
RésuméFR :
Depuis 2013, on a vu émerger en France un ensemble d’initiatives promouvant la formation au code informatique. Présenté comme étant évident, car en accompagnement de la transformation numérique des organisations, cet engouement pour les formations courtes donnera naissance en 2015 à un dispositif national nommé « Grande École du Numérique », qui labellise ces formations et entend former 10 000 nouvelles personnes en trois ans. Il existe ainsi aujourd’hui 400 formations labellisées par ce dispositif et plusieurs milliers de personnes formées à travers elles. L’institutionnalisation de ce dispositif a été très rapide : on compte en effet moins de neuf mois entre son annonce et sa mise en place. L’objectif de cet article est de montrer en quoi cette valorisation peut sembler paradoxale. Nous verrons en effet qu’autour de la notion de « code informatique » on assiste à une promotion de ce dernier en tant que compétence. En effet, cette valorisation du code se joue avant tout à un niveau symbolique. Sur les plans théorique et empirique, elle se confronte à de nombreuses contradictions, tant du point de vue de l’histoire de l’enseignement de la programmation informatique que de celui de la place occupée par les développeurs informatiques dans la division du travail, et surtout des points de vue économique et social, notamment concernant la question de l’insertion professionnelle.
EN :
Since 2013, we have seen the emergence in France of a number of initiatives promoting computer coding schools. Presented as an obvious fact, because accompanying the digital transformation of organizations, in this sense in 2015, a French national label called “Grande École du Numérique” was created, which certifies these schools and intends to train 10,000 new people in three years. There are now 400 coding schools certified by this system, and several thousand people have been trained. The institutionalization of this initiative has been very fast: there were indeed less than nine months between the announcement of the device and its implementation. The purpose of this article is to show how this valorization can seem paradoxical. We will see that around the notion of “computer code”, we are seeing a promotion of computer code as a skill. We will see that this valorization of the code concerns above all a symbolic level and that on the theoretical and empirical levels it confronts itself with many contradictions, as well at the level of the history of the teaching of computer programming, as by the place occupied by code developers in the division of labor, but also and especially in economic and social terms with regard to professional insertion.
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La formation continue numérisée face à ses discontinuités
Anca Boboc et Jean-Luc Metzger
p. 230–252
RésuméFR :
Dans un contexte caractérisé par la volonté d’accroître la responsabilisation individuelle des salariés dans l’acquisition et le maintien de leurs compétences professionnelles, l’utilisation du numérique apparaît aux yeux de certains décideurs comme une solution pertinente pour former leurs employés plus rapidement et en lien plus direct avec la stratégie des entreprises. Mais au-delà des principes séduisants, que montrent les expérimentations en cours ?
Pour apporter des éléments de réponse, nous nous appuyons dans cet article sur une enquête qualitative réalisée auprès des apprenants et des formateurs qui ont suivi — voire, pour certains, qui ont mis en place — une formation à distance entièrement numérisée (Corporate Open Online Courses ou COOC) au sein d’une grande entreprise. Nous pointons l’importance du taux d’abandon chez les apprenants, les difficultés des formateurs à exercer leur nouveau rôle d’animateur, et soulignons les discontinuités que la numérisation de la formation induit sur les espace-temps de travail et sur les interconnaissances professionnelles. Nous montrons également que ces discontinuités ont des effets différenciés sur les capacités d’apprentissage des salariés. Grâce à l’approche par les capacités d’Amartya Sen, nous interprétons ces constats en termes de facteurs de conversion (environnementaux, sociaux, individuels). Nous soutenons que c’est l’absence de ces trois catégories de facteurs qui explique, pour les apprenants et pour les formateurs, les discontinuités rencontrées et les inégalités dans la maîtrise des nouveaux dispositifs de formation. Enfin, nous esquissons des pistes pour repenser la numérisation de la formation continue, afin de réduire les risques d’inégalités sociales cristallisées autour de ce type de dispositifs technico-pédagogiques.
EN :
In a context characterized by the desire to increase the individual responsibility of employees in the acquisition and maintenance of their professional skills, the use of digital devices appears to some decision-makers as a relevant solution to train their employees more quickly and in a more direct link with business strategy. But beyond these attractive principles, what do the current experiments show?
To provide some answers, in this article, we rely on a qualitative survey of learners and trainers who have followed - or, for some, implemented - fully digitized distance learning (Corporate Online Open Courses), within a big company. After having indicated the importance of the dropout rate among learners and the difficulties of trainers in exercising their new role of facilitator, we highlight the discontinuities that the digitalization of training induces in terms of working time-space and professional interknowledge networks. We also show that these discontinuities have differentiated effects on the learning abilities of employees. Based on Amartya Sen's capacity approach, we interpret these findings in terms of conversion factors (environmental, social, individual). This allows us to argue that it is the absence of these three categories of factors which explains, for both learners and trainers, the discontinuities encountered and the inequalities in the mastery of the new training devices. Finally, the same framework of analysis allows us to sketch out ways to rethink the digitalization of professional training in order to reduce the risks of social inequalities crystallized around this type of technical-educational devices.