Volume 15, numéro 2, 2007 La traduction des textes sacrés Sous la direction de Alexis Nouss
Sommaire (8 articles)
Liminaire
Thème
-
Traditions et principes de la traduction biblique dans l’Antiquité juive
Francine Kaufmann
p. 15–45
RésuméFR :
Un préjugé répandu voudrait qu’un tabou juif interdise de traduire la Bible ou n’autorise qu’une traduction servile, littérale. Cette étude s’appuie sur la littérature rabbinique (Talmud, Midrach, exégèse) pour montrer qu’une traduction orale à usage interne a été prescrite dès l’Antiquité, quand la majorité des Juifs ont perdu l’usage de l’hébreu. Sa fonction était d’accompagner — non de remplacer — l’original hébraïque, dans la lecture synagogale et dans l’étude. Elle a été mise plus tard par écrit puis imprimée en regard de l’original. La traduction qui s’enracine dans la tradition exégétique juive est légitime puisqu’elle contribue à clarifier et expliquer et le sens de la Bible hébraïque.
EN :
According to a widespread bias, there would be a Jewish taboo against the translation of the Bible, or at least a Jewish translation should be as close as possible to the letter of the original. This paper, based on the study of rabbinic literature (Talmud, Midrach, exegesis), intends to show that an oral translation, for internal purposes, was already needed in Antiquity, when most of the Jews could not understanding Hebrew anymore. Its function was not to replace but to be read along the Hebrew original in the synagogue and in the study. Later on, it has been written down and printed with the original text. Translation which is imbedded in the exegetic Jewish tradition is legitimate and contributes to understanding the meaning of the Hebrew Bible.
-
De la possibilité aléatoire mais promise d’une critique des traductions bibliques
Alexis Nouss
p. 47–66
RésuméFR :
Le religieux et le sacré sont des notions qui réclament inévitablement leur rattachement à la sphère du transcendant dont la nature rend pour le moins complexe l’élaboration de critères d’évaluation quant aux pratiques inhérentes. Cet article analyse ainsi les obstacles qui se posent devant l’essai d’évaluation critique des traductions bibliques. Outre le niveau textuel et linguistique, toute évaluation doit d’emblée prendre en compte les dimensions théologiques latentes. Il importe de cerner le substrat théologique à l’oeuvre dans les positions traductologiques, en ce qui concerne le domaine biblique, de même que ce substrat agit dans les cultures sécularisées sous la forme d’un impensé ou d’un investissement de substitution.
Les grandes lignes d’une étude de ce type sont ici d’abord suggérées en envisageant les difficultés que pose l’examen des Bibles confessionnelles et militantes. Puis est abordée la divergence, dans les trois monothéismes, des attitudes traductionnelles en regard de la textualité révélée : judaïsme et islam se rejoignent dans la reconnaissance de la dimension interprétative, tandis que le christianisme vise à l’efficacité dans la transmission du message. Il est enfin fait état de la question du messianisme et de sa compréhension, qui pèse avec la même pertinence dans les orientations traductologiques.
La dernière partie procède à un retour sur la « nouvelle traduction » de la Bible parue chez Bayard/Médiaspaul, avant de conclure sur une défense du concept de « traduction athée » qui articulerait un principe d’altérité dont le texte biblique est le premier véhicule.
EN :
The notions of the religious and the sacred both inevitably claim their territory in the sphere of the transcendent, whose nature renders the criteria of evaluation of inherent practices more complex. This article analyzes the obstacles that present themselves when attempting a critical evaluation of biblical translations. Apart from the linguistic and textual levels, all evaluations must take into account the theological dimensions. It is important to discern the theological substrate that is at work in every translation, where the biblical field is concerned, the same way that this substrate plays a role in secularized culture, in the form of an unthought.
The general outline of this type of study is first of all to envision the difficulties in the examination of a confessional or militant Bible. Then the different stands that are taken in translation by all three monotheisms in respect to the revealed text will be studied. Judaism and Islam agree on recognizing an interpretive dimension, whereas Christianity aims for efficiency in the transmission of the message. Finally, the question of the Messiah will be examined, as will be its understanding which is considered equally pertinent in the varied orientations of translations.
The last section will re-examine the « Nouvelle Traduction » version of the Bible, published by Bayard/Médiaspaul, before concluding with a defence of an « atheist translation » concept, thus articulating an otherness that is first carried by the biblical text.
-
Traduction et expérience de lecture : réflexions théologiques sur leur signification en christianisme
Alain Gignac
p. 67–88
RésuméFR :
En dialogue avec l’article d’Alexis Nouss dans ce numéro, l’auteur réfléchit sur les balises herméneutiques et théologiques qui peuvent guider la traduction du Nouveau Testament, en christianisme, balises qu’il retrouve à l’oeuvre, rétrospectivement, dans la dynamique qui a présidé à La Bible, nouvelle traduction (à laquelle il a participé). D’une part, lire c’est traduire, — c’est-à-dire comprendre le texte tel quel en vue de se comprendre — et traduire, c’est interpréter. La théorie herméneutique pose donc l’aporie de toute traduction, à la fois opaque et transparente. D’autre part, le texte du Nouveau Testament lui-même n’est pas Parole de Dieu, mais témoignage qui porte les traces de la rencontre du Christ ressuscité, Parole de Dieu qui s’articule dans une existence humaine corporelle. La théologie assigne donc à la traduction la tâche de ne pas nuire à la réitération de cette rencontre, pour le lecteur. Ainsi, le critère d’évaluation d’une traduction devient sa capacité à provoquer chez le lecteur une expérience de lecture, susceptible de faire émerger une Parole. Une « traductologie théologique chrétienne » n’occulte pas le texte source ni ne privilégie le texte cible. L’expérience de rencontre du Ressuscité dont le texte source porte la trace doit pouvoir se manifester dans l’expérience de lecture dont le texte cible devient le support.
EN :
In dialogue with Alexis Nouss’ article in this same edition, the author considers the hermeneutic and theological beacons that guide New Testament translation in Christianity, these beacons being found in the work, retrospectively in the dynamic that presided over the « Bible, nouvelle traduction » (in which the author participated). On the one hand, reading is translating—understanding the text as is in order to understand ourselves—and translation is interpretation. Hermeneutic theory presents an aporia, at the same time opaque and transparent. On the other hand, the New Testament text is not the Word of God but the witness of an encounter with the resurrected Christ, the Word of God articulated in a corporal existence. Theology therefore assigns a task to translation : that of not hindering, the reiteration of this encounter for the reader. In this light, translation is evaluated on its ability to provoke within the reader an experience through reading in which emerges the Word. A « Christian theological translation » does not conceal the source nor does it privilege the targeted text. The experience of an encounter with the Resurrected, of which the source text carries the trace, must manifest itself in the experience of reading in which the target text becomes the support.
-
Les débats autour de la traduction du Coran : entre jurisprudence et traductologie
Gaafar Sadek et Salah Basalamah
p. 89–113
RésuméFR :
Le présent article traite de la question de la traduction du Coran selon deux perspectives. Dans une première partie historique, depuis l’aube de l’Islam jusqu’à l’époque contemporaine, il s’agira de mettre au jour les motivations sociopolitiques des traductions du Coran à travers l’histoire, ainsi que les grandes lignes de fracture entre ses tenants et ses détracteurs. Une seconde partie sera consacrée au point de vue traductologique, où la représentation de la langue arabe du Coran, ainsi que celle de sa traduction seront dégagées du discours principalement jurisprudentiel qui les évoque. Dans ce débat mené à travers les siècles, il apparaît évident que les différentes perspectives sur le traduire du Coran sont également instructives sur la manière de faire face aux défis de notre temps.
EN :
This article deals with the issue of Quranic translation on two levels. The first part, an historic study starting from the dawn of Islam and reaching contemporary times, will shed some light on the socio-political motivations of different translations of the Quran throughout history. It will also present a general outline of the main positions of the opponents and the proponents of Quranic translation. A second part will be reserved to the translational point of view, in which a representation of the Arabic language of the Quran as well as that of its translation will be brought out from the mainly jurisprudential discourse that brings them to the forefront. This debate, which has spanned over many centuries, makes it clear that the different approaches to Quranic translation can also be of benefit in teaching us how to face the challenges of our time.
-
Traduire la terminologie du bouddhisme à la lumière de la pratique du dharma
Nicole Martínez-Melis
p. 115–132
RésuméFR :
L’implantation du bouddhisme en Occident comme tradition vivante conduit à reposer le problème de la traduction de sa terminologie sous un éclairage nouveau, ouvrant ainsi un champ d’étude qui apporte de nouvelles données à la traductologie. Le groupe de recherche Marpa du Departament de Traducció i d’Interpretació de l’Universitat Autònoma de Barcelona présente ici quelques résultats des travaux préliminaires en vue de l’élaboration d’une banque de données terminologique multilingue conçue comme aide à la traduction des textes du bouddhisme tibétain en espagnol et en catalan.
EN :
The translation of Buddhist terminology has had to be rethought in the light of the practice of Buddhism in the West as a living tradition. This new area of research has already made a contribution to translation studies. In this article, the Marpa research group in the Departament de Traducció i d’Interpretació de l’Universitat Autònoma de Barcelona presents the results of some preliminary studies aimed at building a multilingual terminology data bank designed as an aid to translating Tibetan Buddhist texts into Spanish and Catalan.
-
Traduire la religiosité amérindienne
Dominique Legros
p. 133–161
RésuméFR :
Cet article rend compte de l’épistémè religieux des peuples amérindiens du Nord du Canada en relativisant les concepts les plus fondamentaux de religions plus récentes, telles que le judaïsme, le bouddhisme, le christianisme et l’islam. Cette relativisation est effectuée en contrastant leur conception dualiste du monde avec celle des religions monistes grecque et romaine anciennes. Ce premier examen permet de constater qu’une religion peut parfaitement prôner la non-existence d’un paradis en dehors de l’ici-bas. En comparant ensuite les religions anciennes de la Grèce et de Rome et celles des aborigènes australiens, l’article révèle qu’une conception moniste du monde peut à son tour se concevoir sans l’existence de Dieu, ni même des dieux, demi-dieux et déesses des anciens Grecs. À ce terme, l’article s’ouvre sur une analyse des notions les plus fondamentales de l’épistémè religieux des Athapaskan tutchone du Territoire du Yukon —religion qui, comme celle des Australiens ne reconnaît d’autre monde que l’ici-bas, et aucun dieux ou déesses et encore moins Dieu. Y sont discutées les notions Tutchone d’ombre-âme, de souffle et de yindi’ (intellect), ainsi que leur interaction dans la nature et à travers les rêves — avec les zhäak (puissances, chants guérisseurs) des animaux et de certains phénomènes naturels. La relativité des conceptions religieuses déistes en ressort de façon éclatante.
EN :
This paper attempts to translate the religious worldview of Northern Canadian First Nation peoples through the relativization of concepts from more recent religions such as Judaism, Buddhism, Christianity, and Islam. These dualist religions are first contrasted with the monistic religious conceptions of the universe found in Ancient Greece and Rome. This initial analysis leads one to recognize that religion may very well proclaim the non-existence of Paradise outside this world. By further comparing the Ancient Greek and Roman monistic religions with those of the Australian Aborigines, this paper argues that a monistic conception of the world may in turn be conceived without the existence of God, gods, goddesses and even half-gods as among the Greeks or the Romans. At this juncture, the paper opens on an analysis of the religious episteme of the Tutchone Athapaskan peoples of the Yukon Territory — a religious episteme which admits the existence of no gods, no goddesses, and a fortiori no God. A discussion is then put forward on Tutchone notions of shadow-souls, breaths, yindi’ (intellect) and the relations of those realities with that of zhäak (powers and healing songs) of animals and other natural phenomena before concluding with a final relativization of religious deistic worldviews.a
Hors-Thème
-
Toucher Jésus le Ressuscité : marie de Magdala et Thomas le Jumeau en Jean 20
Sandra M. Schneiders
p. 163–192
RésuméFR :
Cet article s’intéresse au rôle que joue la corporéité de Jésus dans sa relation avec les disciples après la résurrection. À travers l’étude de Jn 20, notamment les commandements contradictoires que Jésus adresse à Marie de Magdala (20,11-18) et à Thomas (20,24-29), il propose de comprendre que la résurrection n’est pas physique mais qu’elle est corporelle. Le corps du Ressuscité continuerait ainsi de médiatiser sa relation aux disciples, d’une façon qui est à la fois en continuité et en discontinuité avec la manière dont il le faisait durant sa carrière prépascale.
EN :
This paper focuses on the role played by Jesus’ corporality in his relationship to the disciples after the resurrection. Through the study of Jn 20, especially the conflicting commandments given to Mary Magdalene (20,11-18) and Thomas (20,24-29), it is suggested that the resurrection is not to be understood physically, though it is bodily. Thus, the body of the Resurrected is still mediating his relationship with his disciples, but in a way that is both continuous and discontinuous with the way it did in his pre-Easter career.