Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 28, Number 1, Fall 2017 Cinélekta 8
Table of contents (9 articles)
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Présentation
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Effet spécial : l’incandescence du voir dans les films de Martin Arnold
Emmanuelle André
pp. 9–28
AbstractFR:
Cet article vise à situer la définition de l’effet spécial dans une histoire plus large du cinéma (le trucage selon Christian Metz) et dans l’histoire de l’art (les débats sur la peinture et la sculpture à l’âge moderne). L’oeuvre « désanimée » de Martin Arnold réalisée sur la base de cartoons américains relance le paradigme de la vue et du toucher et sert la réflexion, non plus d’une dispute entre les arts (la sculpture qui opère per via di levare opposée à la peinture qui procède per via di porre), mais d’un « réglage de la perception » (Metz). Déclinée dans les films sur le mode d’une proposition plastique, l’opposition des sens devient l’enjeu d’une interrogation sur les sources du visible : ses origines physiologiques et ses manifestations psychiques. L’usage de la couleur — le fond noir sur lequel s’enlèvent les fragments colorés des icônes décomposées — produit, en connivence avec l’art abstrait, une « dynamite de l’inconscient » qui fait surgir une forme d’incandescence du voir et un effroi du regard.
EN:
This article situates the definition of the special effect in a broader history of cinema (Christian Metz’s notion of the trick effect) and in the history of art (debates around painting and sculpture in the modern era). Martin Arnold’s “de-animated” work, based on American cartoons, reworks the paradigm of seeing and touching and prompts us to think, no longer about a dispute between the arts (sculpture, operating per via di levare, opposed to painting, which operates per via di porre), but about “adjusting perception” (Metz). This conflict between the senses, which takes the form of a plastic proposition in Arnold’s films, becomes the site of an interrogation of the sources of the visible: its physiological origins and its psychic manifestations. The use of colour—the black background from which are taken coloured fragments of broken-down icons—produces, in league with abstract art, a “dynamite of the unconscious” which brings out a kind of incandescence of seeing and a dread of the gaze.
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Usages des références historiques dans le cinéma syrien d’après 2011
Nicolas Appelt
pp. 29–46
AbstractFR:
Dans la création cinématographique syrienne qui échappe au contrôle du régime, apparaissent trois usages de la référence historique. Tout d’abord, figure la référence au massacre de Hama perpétré par le régime syrien comme pour signifier que l’histoire se répétait et que la réponse des autorités ne diffère pas. Outre cette référence à usage interne, dans la mesure où elle est principalement connue des Syriens, on trouve, notamment dans les courts métrages du collectif de cinéastes Abounaddara ainsi que dans ses interventions médiatiques, la référence à l’Orientalisme ainsi qu’à la Seconde Guerre mondiale. Ces deux références s’insèrent dans une démarche critique visant à remettre en cause la perception du conflit syrien, et sa représentation dans les médias occidentaux principalement.
EN:
In those Syrian films which elude the regime’s control, historical references can take three forms. First, references to the Hama massacre perpetrated by the Syrian regime show that history has repeated itself and that the authorities’ response has not differed. In addition to this reference for domestic consumption, in that it is familiar primarily to Syrians, we find references to Orientalism and to the Second World War, particularly in the short films made by the filmmaking collective Abounaddara and in its activities in the mass media. These two references are part of a critical project which seeks to call into question perception of the Syrian conflict and its representation in Western media in particular.
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Entre rupture et continuité : métamorphose identitaire dans Bleu de Krzysztof Kieślowski
Isabelle Dame
pp. 47–64
AbstractFR:
Cet article vise à présenter comment une lecture existentielle du film Bleu (1993) de Krzysztof Kieślowski permet de mettre en lumière la métamorphose identitaire de son héroïne, Julie. Nous verrons comment la perte brutale de son mari et de sa fille amènera l’héroïne à vivre une rupture identitaire qui brise le « calme » cher à l’oeuvre kieślowskienne. Nous pourrons comprendre que cette rupture est liée, dans l’oeuvre, à une perte traumatique qui ne peut être intégrée à son récit. Julie cherche à apaiser l’irruption traumatique du passé à travers un éloignement de ce qui le lui rappelle. Ce retrait apportera une tentative de dissolution de son identité. Julie sera sauvée par l’intervention de l’autre qui lui permettra de renaître, transformée par sa perte. La démarche herméneutique adoptée entraînera la description existentielle de la thématique identitaire dans l’oeuvre à être mise en dialogue avec un corpus théorique issu de la philosophie continentale et de la psychanalyse.
EN:
This article sets out to show how an existential reading of Krzysztof Kieślowski’s film Bleu (Blue, 1993) makes it possible to bring into focus the changing identity of its heroine, Julie. We will see how the brutal loss of her husband and daughter bring her to a point of a ruptured identity, breaking the “calm” so important to Kieślowski’s work. We will be able to understand that this rupture in the film is tied to a dramatic loss which cannot be incorporated into its story. Julie tries to pacify the traumatic eruption of the past by distancing herself from what reminds her of it. This retreat brings about an attempt to dissolve her identity. Julie is saved by the intervention of another person, enabling her to be reborn and transformed by her loss. The hermeneutic approach adopted in the article brings the existential description of the theme of identity in the film into dialogue with a body of continental philosophy and with psychoanalysis.
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La citation littéraire dans la critique de cinéma de Jean-Luc Godard
Marie Fallon
pp. 65–87
AbstractFR:
Cet article présente les résultats d’une enquête visant à recenser, dans les critiques de cinéma de Jean-Luc Godard, les diverses formes de citations par lesquelles il convoque les auteurs de son panthéon littéraire. L’auteure retrace les sources de nombreuses citations et met en lumière la transformation singulière de ces textes perpétrée par Godard, en s’appuyant sur la notion d’intertextualité développée par Gérard Genette et les différentes pratiques relevées par Tiphaine Samoyault. En conclusion, l’auteure propose une ouverture vers le cinéma de Godard — et plus particulièrement Alphaville (1965) — en montrant comment son goût de la citation littéraire se poursuit à l’écran dans la continuité de son travail de critique.
EN:
This article presents the results of a study seeking to inventory the diverse forms of quotation in Jean-Luc Godard’s film criticism by which he convenes the authors of his literary pantheon. The author traces the sources of numerous quotations and demonstrates the singular transformation Godard carried out on these texts, drawing on the notion of intertextuality developed by Gérard Genette and the various practices brought out by Tiphaine Samoyault. The author concludes with a discussion of Godard’s films—and in particular Alphaville (1965)—and shows how his taste for literary quotation extended to the screen, in continuity with his work as a critic.
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Image et réalité dans la théorie cinématographique d’André Bazin
Maurizio Guercini
pp. 89–105
AbstractFR:
La notion classique de réalisme est au coeur de la réflexion d’André Bazin sur l’image cinématographique. Loin de se réduire à ses aspects technique et psychologique, le réalisme cinématographique doit être entendu dans un sens stylistique et ontologique. Ontologique, car l’image cinématographique parvient à manifester l’essence même de la réalité, qui consiste dans son ambiguïté : Bazin est ici au plus près de la conception bergsonienne de l’art. Stylistique, car cette vocation ontologique de l’image cinématographique ne peut se réaliser qu’en vertu de choix esthétiques : Bazin distingue nettement un cinéma de l’image d’un cinéma de la réalité et reconnaît, au sein de ce dernier, une grande variété d’options stylistiques.
EN:
The classical notion of realism is at the heart of André Bazin’s thinking about the film image. Far from being reduced to its technical and psychological aspects, Bazin argues that film realism should be understood in a stylistic and ontological sense. Ontological, because the film image succeeds in making manifest the very essence of reality, its ambiguity: here Bazin is very close to Bergson’s conception of art. Stylistically, because this ontological vocation of the film image can only be achieved through aesthetic choices: Bazin makes a clear distinction between a cinema of the image and a cinema of reality and sees in the latter a great variety of stylistic options.
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L’ouvrier et la machine dans les films miniers et sidérurgiques (1930-1960)
Nadège Mariotti
pp. 107–125
AbstractFR:
Cette étude appréhende par le biais de l’anthropologie visuelle l’évolution des représentations dans les relations entre l’ouvrier et la machine de 1930 à 1960 à partir d’exemples choisis de films de divers genres dont la thématique porte sur les mines et la sidérurgie. Ils permettent d’établir que le corps humain est le prolongement de la machine, un instrument (Marcel Mauss). Dans la conception même de l’automate (Jean-Claude Beaune), le geste répétitif, la temporalité cyclique, matérialisée par l’horloge et la communication non verbale occupent une place primordiale. Après la Seconde Guerre mondiale, l’homme s’efface de plus en plus pour laisser la machine seule sur scène. L’ouvrier, comme sa représentation filmique, change de statut. D’abord « instrument », il devient « automate » pour finir « effacé ».
EN:
This study approaches from the perspective of visual anthropology the changing representations of the relations between worker and machine from 1930 to 1960 on the basis of examples chosen from films of various kinds whose theme is that of mines and steelworks. These films make it possible to establish that the human body is an extension of the machine, an instrument (Marcel Mauss). In the very concept of the automaton (Jean-Claude Beaune), the repetitive gesture and cyclical temporality, given material form by the clock and non-verbal communication, play a primordial role. After the Second World War, man became increasingly marginalized, leaving the machine alone on the scene. Workers, like their representation on film, changed status. Initially “instruments,” they became “automata” before they ended up being “erased.”
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Les revenants : l’Algérie et le retour du refoulé dans le cinéma français
Claire Mouflard
pp. 127–144
AbstractFR:
Cette étude comparative du film de Robin Campillo intitulé Les revenants (2004) et de Caché (2005) de Michael Haneke porte sur le refoulement dans la conscience collective française des meurtres, tortures et diverses formes de discrimination perpétrés en métropole lors des événements de la guerre d’Algérie (1954-1962) et dans les années ayant suivi l’indépendance de l’ancienne colonie française. Dans ces deux longs métrages, le refoulé est incarné par le personnage du revenant, c’est-à-dire celui que l’on croyait mort et qui revient hanter cette conscience collective nationale tel un spectre jetant une ombre sur la soi-disant impeccabilité de l’identité républicaine française. Les thèmes abordés par ces deux réalisateurs sont analysés en fonction du contexte socio-culturel de l’immigration algérienne en France métropolitaine.
EN:
This comparative analysis of Robin Campillo’s film Les revenants (They Came Back, 2004) and Michael Haneke’s Caché (Hidden, 2005) focuses on the way the French collective conscience repressed the murders, torture and various forms of discrimination perpetrated in mainland France during the events of the Algerian War (1954-1962) and in the years following the independence of the former French colony. In these two feature films, the repressed is embodied by the character of the “revenant,” someone believed to be dead who comes back to haunt the national collective conscience like a ghost, casting a shadow on the supposed irreproachability of France’s republican identity. The themes taken up by these two filmmakers are analyzed with respect to the socio-cultural context of Algerian emigration to mainland France.
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Unmasked Androids: Staring Faces in Science Fiction Cinema
João Vitor Resende Leal
pp. 145–171
AbstractEN:
This article examines the actor’s performance of android characters in science fiction films. The author discusses how the cinematic android stresses conflicts between identity and expression, acting and performance, face and mask—conflicts that culminate in the recurring visual motif of the “unmasking” of the android to reveal its uncanny gaze. From A Clever Dummy (1917) to Blade Runner 2049 (2017), this article analyzes some of the narrative and aesthetic strategies that transform the human actor into an inhuman character, also pointing to early manifestations of the figure of the android in Western culture and to some of its recent developments through the use of videographic masks in the work of artists Otávio Donasci, Tony Oursler and Denis Marleau.
FR:
Cet article examinera le jeu de l’acteur dans la construction de personnages androïdes dans des films de science-fiction. Nous verrons comment l’androïde cinématographique rend visibles des tensions importantes entre identité et expression, entre jeu et performance, et également entre visage et masque — tensions qui motivent le motif visuel récurrent du « démasquage » de l’androïde afin de révéler son inquiétant regard. De A Clever Dummy (1917) jusqu’à Blade Runner 2049 (2017), nous analyserons certaines stratégies narratives et esthétiques qui transforment l’acteur en personnage-machine, soulignant aussi ses possibles rapports avec les premières manifestations occidentales de la figure de l’androïde et avec son développement récent dans l’usage de masques vidéographiques par les artistes Otávio Donasci, Tony Oursler et Denis Marleau.