Cahiers franco-canadiens de l'Ouest
Volume 22, numéro 2, 2010 La traduction à l’ère de la mondialisation
Sommaire (8 articles)
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La traduction à l’ère de la mondialisation
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La localisation en 2009 : la fin d’un rêve
Marie-Christine Aubin
p. 119–135
RésuméFR :
Depuis dix ans, le débat anime les rencontres de traducteurs : la localisation est-elle de la traduction, rajeunie par l’emploi d’outils informatiques, ou est-elle de l’informatique appliquée à des activités de traduction ? De l’informatique, certes, mais alliée à la gestion de projet, à la recherche terminologique et aux diverses variétés linguistiques, tout cela pour permettre à des utilisateurs « locaux » d’avoir des objets qui leur ressemblent, qui leur parlent leur langage. Ces outils performants, bien utilisés par des traducteurs chevronnés, allaient enfin permettre de respecter, grâce à la stylistique différentielle, par exemple, les différences culturelles et linguistiques, même au sein d’une zone unilingue comme la francophonie. Le respect des différences culturelles dans le processus de localisation, c’était ça, le rêve. C’était aussi la formation de traducteurs d’élite, à la fois traducteurs, informaticiens, gestionnaires de projet, mais aussi experts à reconnaître les différences culturelles au sein des zones linguistiques correspondant à leurs langues de travail et entre ces différentes langues; des traducteurs qui, grâce à ce bagage, allaient pouvoir obtenir une reconnaissance bien méritée et un statut social enviable. En 2009, force est de constater que la réalité est loin de ce que nous avions rêvé…
EN :
For the past ten years or more, when translators have gathered, the nature of localization was sure to be one of the topics to be debated, to wit: is localization simply a rejuvenated form of translation made more modern through computerization of certain tasks? Or is it, on the contrary, computer science applied to the tasks of translation—a highly technical activity in which translation plays only a minor role? It is certainly true that localization is a computerized process; however, mentioning computerization alone does not fully describe localization, which also includes such activities as project management, terminological research, and research to take the different varieties of a particular language into consideration—all with the aim of creating objects that will give “local“ users a product in which they recognize their own experience, in short, a product that speaks their language. These powerful tools were expected, at long last, to give experienced translators the means to observe cultural and linguistic differences even among multiple varieties of a single language like French with the help of such disciplines as contrastive stylistics. Taking cultural differences into account in the localization process: this was the dream. As was the prospect of training an elite class of translators who would be at once not only translators, computer specialists, and project managers, but also experts at recognizing linguistic and cultural differences among the various areas where the languages in which they specialized were spoken—elite translators who would finally attain recognition and an enviable social status commensurate with their skills. This was the dream. But in 2009, we are loath to admit that the reality has not come close to living up to what we once imagined.
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OPAYSAGES : ou la partie invisible des mots
Nicole Brossard
p. 137–152
RésuméFR :
Dans cet article, l’auteure aborde la question de la traduction du point de vue de l’écrivaine dont les oeuvres ont été traduites. Selon Brossard, être traduit suppose une transformation, un devenir autre dans l’autre langue. Elle analyse donc cette pratique – dialogique – de la traduction selon la double perspective du travail solitaire du traducteur en tant que lecteur et des récepteurs. La traduction, en effet, est facteur de circulation, de rencontres, d’échanges mais aussi invitation à revisiter sa propre langue, ses origines et son devenir. Ainsi, la traduction est une production (de sens) qui exige une responsabilité de juste mesure devant la possibilité d’entrer dans l’intimité de l’oeuvre ou de s’en éloigner. Différentes approches sont alors proposées : celle du sens tel quel, l’approche de l’identitaire (du sens recherché), la ludique permissive (du sens ubique) et l’interactive responsable / interactive libre (du sens réinventé). Ce dialogue, cette interaction qu’est la traduction, ouvre à la possibilité d’une ré/écriture. Le texte traduit est donc un espace de transformation, de rencontres et d’invitation au rêve.
EN :
In this article, the author addresses translation from the point of view of a writer whose work has been translated. According to Brossard, being translated implies a transformation, a becoming other in the other language. She analyzes the dialogic practice that is translation from a dual perspective—that of the solitary translator and that of the receptors. Translation is in effect an instigator of circulation, of encounters, and of human interaction in addition to being an invitation to take a fresh look at one’s own language, examining its origins and its ongoing evolution. Translation is thus an endeavour whereby meaning is produced, so it is the translators’ duty to strike the perfect balance between penetrating and moving away from a work’s intimacy. The author proposes to describe three approaches to this process: an approach that involves translating meaning as it appears on the page, an identity-based approach (meaning sought); a permissive, playful approach (overarching meaning); and an interactive approach that can be either dutifully faithful or free (reinvented meaning). This dialogue, or interaction, that is translation, opens up the possibility of writing or rewriting the text. The translated text, then, is a place of transformation and of meetings of minds out of which comes an invitation to dream.
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La traduction qui n’en est pas une : la traduction des nouvelles et ses enjeux
Kyle Conway
p. 153–162
RésuméFR :
Le présent article parle de la traduction dans trois sens du mot : l’acte de traduire, le produit de cet acte et les mots qu’on emploie comme outils pour accomplir cet acte. Il examine les rapports entre ces trois sens pour décrire trois paradoxes touchant à la traduction journalistique. Le premier : la traduction des nouvelles (c’est-à-dire l’acte lui-même) ne produit aucune traduction comme telle (c’est-à-dire aucun texte cible). Le deuxième : la traduction semble servir d’outil qui permet aux journalistes d’être « objectifs », mais en fait, elle introduit la perspective dans leurs reportages. Le troisième : dans la sphère publique, et surtout dans l’arène politique, les « traductions » de mots surchargés de connotations (leur soi-disant « équivalents ») ne sont pas équivalents.
EN :
This article considers three meanings of the word “translation“: the act of translating, the product of this act, and the words that translators use as tools to accomplish this act. It examines the relationships between these three meanings to describe three paradoxes related to news translation. The first paradox is that news translation (that is, the act of translating itself) produces no translation as such (that is, no target text). The second is that translation appears to act as a tool that helps journalists to be “objective,“ but in fact it introduces perspective into their stories. The third is that in the public sphere, and especially in the political arena, “translations“ of semantically charged words (so-called “equivalents“) are not in fact equivalent.
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Le traducteur fictif dans la littérature québécoise : notes et réflexions
Patricia Godbout
p. 163–175
RésuméFR :
Ce texte se divise en deux parties. Il présente d’abord dans ses grandes lignes un projet de recherche en cours visant à répertorier et à étudier les personnages de traducteurs et d’interprètes dans la littérature québécoise depuis 1960. La seconde partie est consacrée au roman Le désert mauve de Nicole Brossard. La présence croissante des traducteurs fictifs dans de nombreux corpus littéraires n’a pas manqué, ces dernières années, d’attirer l’attention de traductologues tels Dirk Delabastita et Rainier Grutman, Lieven D’Hulst et Sherry Simon, pour ne nommer que ceux-là. Un travail de dépouillement en cours permettra de dégager les traits par lesquels les traducteurs fictifs de la littérature québécoise s’apparentent à l’archétype du traducteur (solitaire, austère, invisible, puriste de la langue, etc.). L’étude des données recueillies permettra également d’être attentif à l’émergence, le cas échéant, d’un « traducteur nouveau ». À cet égard, la place de la traductrice et de la traduction dans Le désert mauve de Nicole Brossard est examinée afin de mettre en lumière le rôle important qu’a joué cette oeuvre dans la redéfinition du paradigme de la traduction dans les lettres québécoises.
EN :
This text is divided into two parts. First of all, it outlines a research project under way that aims to catalogue and study characters who are translators or interpreters in Quebecois literature from 1960 to the present. The second part is devoted to Nicole Brossard’s novel Le désert mauve (translated by Susanne de Lotbinière-Harwood as Mauve Desert). In recent years, the growing presence of fictional translators in a great many literary corpora did not go unnoticed by such translation scholars as Dirk Delabastita, Rainier Grutman, Lieven D’Hulst and Sherry Simon, to name but a few. A data-gathering exercise now underway will help to flesh out how the traits of fictional translators in Quebecois literature align with those of the archetypal translator (solitary, austere, unseen, a linguistic purist, etc.). The gathered data will give us grounds for identifying the emergence of a “new translator,“ if indeed such a thing is there to be found. In this regard, the role of the translator and of translation in Nicole Brossard’s Le désert mauve will be examined, with the aim of shedding light on the important role that this work played in redefining the translation paradigm in Quebecois letters.
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Traduction littéraire et diffusion culturelle : entre esthétique et politique
Louis Jolicoeur
p. 177–196
RésuméFR :
La traduction d’une oeuvre littéraire va bien au delà de la seule portée littéraire du texte source. Les choix effectués dépendent au premier chef des orientations idéologiques, du poids des cultures les unes par rapport aux autres, des décisions d’ordre éditorial et politique, et enfin des stéréotypes entretenus entre les cultures, lesquels n’existent pas non plus dans l’abstrait mais tirent en général leurs racines des réalités historiques, pour être ensuite alimentés souvent par les intérêts divergents d’un groupe par rapport à un autre. Dans ce contexte, le traducteur d’un roman ne fait pas simplement un métier de passeur entre une culture et une autre; il est le véhicule d’une intention plus ou moins articulée, voire plus ou moins consciente, et il s’inscrit clairement dans un rapport de force, de faiblesse, de lutte éventuellement, entre un groupe culturel et un autre. Afin d’en savoir davantage sur cette problématique, il faut se poser les questions suivantes : Qui parmi les auteurs d’un pays traduit-on ? Qui les traduit et les publie ? Pour qui les traduit-on ? Comment les traduit-on ? Dans quel but les traduit-on ? Le présent article se penche sur le cas des auteurs québécois en Italie, à cet égard exemplaire.
EN :
Translation of a literary work reaches well beyond the literary scope of the source text. The choices made depend to a large extent on ideological leanings, the comparative importance of source and target cultures, decisions of an editorial or political nature, and prevailing stereotypes maintained by the two cultures—stereotypes that do not exist in a vacuum but that are generally rooted in historical realities and kept alive over time by the divergent interests of one group in relation to the other. In such a context, translators of novels are more than just carriers of messages from one culture to another; they are the vehicles of an intent that has been articulated more or less explicitly and indeed more or less consciously, and they clearly take part in an ongoing relationship of strength, weakness and possibly conflict between two cultures. To gain a better grasp of this issue, we must consider the following questions: Among the authors of a given culture, which ones do we translate? Who translates and publishes these authors? Who are the readers for whom these translations are made? How are these authors translated? Towards what end are they translated? This article examines these questions using the example of Quebecois authors in Italy, a country that is exemplary in this regard.
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De la politesse hybride à la traduction littéraire : Temps de chien de Patrice Nganang
Bernard Mulo Farenkia
p. 197–220
RésuméFR :
Le roman camerounais reflète le paysage, les moeurs, l’histoire, les manières de dire la vie, en bref, la société du Cameroun contemporain. La langue parlée par les personnages, le français (camerounais), est à l’image de l’hétérogénéité socioculturelle, sociolinguistique, socioéconomique et sociopolitique du pays, remarquable à travers les manières d’exprimer une politesse, essentiellement hybride en raison du métissage langagier et culturel qui en sous-tend le fonctionnement. Ainsi, la politesse à la camerounaise pose des problèmes de traduction. Il serait alors intéressant de savoir si et comment cette spécificité linguistique et culturelle est prise en charge par le traducteur. Nous interrogerons à cet effet les traductions allemande et anglaise du roman Temps de chien de Patrice Nganang, avec une attention particulière pour les formes d’adresse. L’analyse de quelques exemples révèle que le terme de déférence chef (employé envers les policiers et autres membres des forces de l’ordre) et les termes affectifs asso, mola et tara posent effectivement d’énormes problèmes de traduction en allemand et en anglais. Des défis que le traducteur pourrait relever, à condition de puiser, entre autres, dans des connaissances sociopragmatiques.
EN :
The Cameroonian novel reflects the landscape, mores, history, and words for recounting life that make up contemporary Cameroonian society. The language spoken by the characters—Cameroonian French—mimics the country’s sociocultural, sociolinguistic, socioeconomic and socio-political heterogeneity. This is noticeable in the ways courtesy is expressed, which are essentially hybrid due to the mixing of languages and cultures that underlies their functioning. Cameroonian courtesy therefore presents particular problems for translation. It would be interesting, then, to determine whether and how this linguistic and cultural specificity is apprehended by the translator. Towards this end, we examine the German and English translations of the novel Temps de chien, by Patrice Nganang, paying particularly close attention to forms of polite address. Analysis of a few examples reveals that the deferential honorific chef (used to address police officers and other members of controlling forces) and the terms of affection asso, mola and tara, are indeed tremendously problematic for translation into German and English. These are challenges that can be met by translators, provided they call on socio-pragmatic knowledge, among other things, to accomplish this.
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La traduction au quotidien et l’impact de l’anglais ambiant sur le lexique des jeunes Franco-Manitobains : interférence ou alternance codique ?
Liliane Rodriguez
p. 221–234
RésuméFR :
Au Canada, en milieu bilingue, la traduction est un mode de vie : on y échappe rarement au cours d’une journée, que ce soit par la lecture ou par la parole. Cela se produit à tout moment, et à tout âge. Ce phénomène peut se mesurer par la statistique lexicale, comme le démontre cet article, fondé sur des extraits de textes de Gabrielle Roy et sur des indices de « disponibilité lexicale », calculés sur les données d’une enquête auprès de jeunes Franco-Manitobains. Nous dégagerons trois pratiques traductives quotidiennes. La première consiste en traduction proprement dite : elle a lieu dans le discours, quand un mot en une langue est aussitôt suivi de sa traduction, dans la même phrase, prenant (ou introduisant) la fonction de commentaire métalinguistique. La deuxième est la traduction partielle : le mot anglais n’est traduit qu’en partie, ce qui donne lieu à des mots hybrides, des anglicismes. La troisième, traduction mentale, est liée à l’alternance des langues (ou alternance codique où le locuteur passe d’une langue à l’autre dans le cadre d’un même énoncé). Nous verrons que ces trois pratiques sont observables dans les textes de Roy, tout comme dans le vocabulaire disponible des 336 témoins de l’enquête.
EN :
In bilingual areas of Canada, translation is a way of life. A day without translation, whether while reading or while speaking, is rare indeed. The need to translate can arise at any time and affects all ages. This phenomenon can be measured through lexicometry—the statistical analysis of discourse—as demonstrated in this article, based on excerpts of Gabrielle Roy’s writings and on lexical availability indices calculated using data from fieldwork with young Franco-Manitobans. In this article, we identify three translation practices that occur daily. The first of these is translation qua translation, which occurs in discourse when a word in one language is immediately followed by its translation in the other, in the same sentence. The translation thus takes on (or introduces) the function of a metalinguistic remark. The second everyday translation practice is partial translation: the English word is only partially translated into French. This gives rise to hybrid words, or anglicisms. The third, silent translating, is linked to alternating between languages (code-switching), a practice whereby speakers shift from one language to the other within a single sentence. We will see how these practices are observable in the writings of Gabrielle Roy as well as in the available vocabulary of our 336 young informants.