Volume 46, Number 3, 2022 Épidémies et pandémies Epidemics and Pandemics Epidemias y pandemias Guest-edited by Ève Dubé and Fabienne Labbé
Table of contents (22 articles)
Présentation / Presentation / Presentación
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Pandémie de rougeole, 1988-1992 : virus, vaccinations de masse et vulnérabilités contemporaines
Laurence Monnais
pp. 33–51
AbstractFR:
Au tournant des années 1990, la rougeole a balayé le monde. Évitable par la vaccination depuis 1963, la « première maladie » est pourtant une des grandes absentes d’un siècle pandémique qui tarde à s’achever, si ce n’est pour en faire l’incarnation d’un anti-vaccinationisme rampant. Au travers d’une chronique de la « crise » de 1988-1992, nous reviendrons sur le processus de coproduction entre l’infection et les technologies qui en protègent. Nous aborderons plus particulièrement la dimension sociale de l’infection virale pour comprendre pourquoi la vaccination de masse, au coeur d’une entreprise d’éradication appuyée, ne suffit pas à éviter la rougeole et participe même à accroître certaines inégalités en santé qui influent sur son épidémiologie. L’expérience de la COVID‑19 nous exhorte à mener ce genre de travail rétrospectif et à mobiliser l’Histoire en discipline de santé publique pour mieux saisir la place de la vaccination dans le passé et le présent viraux et contagieux. Documentation de l’OMS, littérature scientifique et terrain ethnographique forceront ensemble une approche « à parts égales » des espaces et des acteurs concernés, faisant dialoguer les expériences très locales et les politiques internationales pour révéler les écueils d’une santé (publique) globale ultra-technologisée et très verticale.
EN:
At the turn of the 1990s, measles swept the world. Vaccine-preventable since 1963, the “first disease” is nevertheless one of the great absentees of a pandemic century that is slow to come to an end, if not to make it the incarnation of a rampant anti-vaccinationism. Through a chronicle of the “crisis” of 1988‑1992, we will return to the process of coproduction between the infection and the technologies that protect against it. In particular, we will address the social dimension of the viral infection in order to understand why mass vaccination, at the heart of a strong eradication effort, is not enough to prevent measles and even contributes to increasing health inequalities that influence its epidemiology in return. The COVID‑19 experience urges us to conduct this kind of retrospective work and to mobilize history as a discipline of public health to better understand the place of vaccination in the viral and contagious past and present. WHO documentation, scientific literature and ethnographic fieldwork will together force an “equal” approach to the spaces and actors involved, bringing together very local experiences and international policies to reveal the pitfalls of an ultra-technologized and very vertical global (public) health.
ES:
A principios de los años 1990, el sarampión asoló al mundo. Evitable con la vacuna desde 1963, la «primera enfermedad» es sin embargo una de las grandes ausentes de un siglo pandémico que tarda en acabarse, si no es para encarnarse en una anti-vacunación galopante. A través de una crónica de la «crisis» de 1988-1992, retornaremos el proceso de coproducción entre la infección y las tecnologías de protección. Abordaremos en particular la dimensión social de la infección viral para comprender por qué la vacunación masiva, en el centro de una campaña de erradicación apoyada, no basta para evitar el sarampión e incluso contribuye al aumento de ciertas desigualdades en salud que influyen sobre su epidemiología. La experiencia de la COVID‑19 nos exhorta a realizar este tipo de trabajo retrospectivo y a movilizar la historia de la salud pública para comprender mejor el lugar de la vacunación en el pasado y el presenta viral y contagioso. Documentos de la Organización Mundial de la Salud (OMS), literatura científica y trabajo de campo etnográfico contribuirán conjuntamente a una perspectiva «a partes iguales» de los espacios y los actores para mostrar los obstáculos de una salud (pública) global ultra-tecnologizada y muy vertical.
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« Gardez le vaccin au Sud » : mieux comprendre l’hésitation à la vaccination contre la COVID‑19 au Nunavik
Ève Dubé, Marie-Pierre Renaud, Marie-Claude Lyonnais, Catherine Pelletier and Christopher Fletcher
pp. 53–72
AbstractFR:
La pandémie de la COVID‑19 a mis en évidence l’importance de la vaccination pour prévenir des maladies infectieuses, mais également les enjeux liés à l’acceptation des vaccins par les individus et groupes ciblés par les programmes. Le concept d’hésitation à la vaccination est désormais couramment utilisé en santé publique pour référer au fait qu’une partie de la population entretient des craintes importantes par rapport à la vaccination ; craintes qui peuvent mener à refuser ou à retarder la vaccination. L’accent important mis sur les connaissances, les croyances, les valeurs, les attitudes, les trajectoires de vie et les expériences individuelles dans les recherches sur la vaccination peut toutefois occulter l’importance des influences structurelles et socioculturelles plus larges sur les attitudes et décisions à l’égard de la vaccination. À partir d’entretiens menés au Nunavik, cet article propose donc d’explorer comment les facteurs organisationnels et historiques, les normes sociales, les valeurs et les croyances partagées à propos de l’étiologie de la COVID‑19 et à propos de l’efficacité et de la puissance des vaccins pour la prévenir, influent sur l’hésitation à la vaccination contre la COVID‑19 dans des communautés inuit.
EN:
The COVID‑19 pandemic has highlighted the importance of vaccines to prevent infectious diseases, but also the issues related to vaccine acceptance among individuals and groups targeted by vaccination programs. The concept of vaccine hesitancy is now commonly used in public health spheres to refer to the fact that a portion of the population has significant doubts and concerns about vaccines that can lead to a vaccine refusal or delay. Most research on vaccine hesitancy focuses on individual knowledge, beliefs, values, attitudes, life trajectories and experiences. However, the focus on individual determinants of vaccine hesitancy can lessen the importance of broader structural and socio-cultural influences on attitudes and decisions about immunization. Based on interviews conducted in Nunavik, this article proposes to explore how organizational and historical factors, social norms, and shared values and beliefs about the etiology of COVID‑19 and the efficacy and usefulness of vaccines to prevent the virus, influence COVID‑19 vaccine hesitancy in Inuit communities.
ES:
La pandemia de la COVID‑19 evidenció la importancia de la vacunación para prevenir las enfermedades infecciosas, pero también los retos ligados a la aceptación de las vacunas entre individuos o grupos específicos. El concepto de desconfianza en la vacunación se volvió de uso común en la salud pública para referirse al hecho de que una parte de la población tiene temores importantes relacionados con la vacunación; temores que pueden llevar al rechazo o postergar la vacunación. La importancia de los conocimientos, creencias, valores, actitudes, trayectorias de vida y experiencias individuales en las investigaciones sobre la vacunación a veces puede ocultar la importancia de influencias estructurales y socioculturales más amplias sobre las actitudes y decisiones con respecto a la vacunación. A partir de entrevistas realizadas en Nunavik, este artículo se propone explorar cómo los factores organizacionales e históricos, las normas sociales, los valores y las creencias compartidas respecto a la etiología de la COVID‑19 y sobre la efectividad y el poder de las vacunas en la prevención, influyen sobre la desconfianza en la vacunación contra la COVID‑19 en las comunidades inuit.
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Un cahier d’histoire d’Ebola : palmiers à huile, animaux volants et viande de brousse empoisonnée
Michèle Cros and Benjamin Frerot
pp. 73–92
AbstractFR:
C’est un cahier de dessins recueilli lors d’une mission ethnographique au Burkina Faso, en pays lobi. Son auteur, Diniaté Pooda, a quitté le Burkina Faso depuis plusieurs années et il est désormais planteur de cacao en Côte d’Ivoire, à la frontière de la Guinée, là où une épidémie d’Ebola a sévi de 2014 à 2016. Ses dessins, obtenus lors d’un retour au Burkina Faso, nous en livrent un portrait assez précis, depuis une scène originelle où des « animaux volants » se retrouvent porteurs de ce mal après avoir consommé des noix de palmiers à huile qui auraient été empoisonnées à dessein. Des hommes de couleur abattent ces animaux, ils les mangent, puis Ebola les contamine et les emporte. D’un empoisonnement à l’autre, ce n’est pas l’épidémie qui est relatée, mais bien une histoire d’Ebola qui donne un sens à cette tragédie. Au-delà des rumeurs ou d’une simple théorie du complot, cette histoire dessinée par Diniaté Pooda interroge ce qui crée les conditions d’une commensalité risquée dans un contexte d’exploitation de la nature en Afrique médiée par des intérêts étrangers. À nous d’en retracer ici une généalogie complémentaire faisant s’entremêler les changements environnementaux avec les risques d’émergence des maladies infectieuses.
EN:
It is a sketchbook “for pencil, ink and felt” collected during an ethnographic mission in Burkina Faso, in Lobi country. Its author, Diniaté Pooda, left Burkina Faso several years ago and he became a cocoa farmer in Ivory Coast, just on the border with Guinea—an area greatly mourned by an Ebola epidemic from 2014 to 2016. If he has not experienced it directly, his drawings give us a fairly precise portrait of the epidemics, beginning with an original scene where “flying animals” find themselves carriers of the disease after their consumption of purposely poisoned oil palm nuts. These animals are slaughtered by coloured men and eaten, and Ebola soon contaminates these latter and takes them away. From one poisoning to another, it is not the epidemic that is told, but a story of Ebola that gives meaning to this tragedy. Beyond rumours or a simple conspiracy theory, this story drawn by Diniaté Pooda questions what creates the conditions for a risky commensality in the context of nature exploitation mediated by foreign interests in Africa. It is up to us to trace here a complementary genealogy interweaving environmental changes and the risks of the emergence of infectious diseases.
ES:
Se trata de un cuaderno de dibujo recopilado durante una misión etnográfica en Burkina Faso, entre los lobi. Su autor, Diniaté Pooda, abandonó Burkina Faso desde hace varios años y es un cultivador de cacao en la Costa de Marfil en la frontera con Guinea, ahí donde una epidemia de Ébola hizo estragos de 2014 a 2016. Sus dibujos, recogidos durante un regreso a Burkina Faso, nos muestran una imagen bastante precisa, a partir de una escena inicial en donde «animales voladores» son los portadores de dicho mal después de haber comido los cocos de una palmera de aceite que había sido envenenada a propósito. Los hombres de color matan a esos animales para consumirlos, y el Ébola los infecta. De un envenenamiento a otro, no se trata del relato de una epidemia, sino de una historia del Ébola que otorga un sentido a dicha tragedia. Más allá de los rumores o de una simple teoría del complot, esta historia dibujada por Diniaté Pooda interroga lo que crea las condiciones de una comensalidad arriesgada en un contexto de explotación de la naturaleza en África, mediada por los intereses extranjeros. Nos toca rastrear aquí la genealogía complementaria entremezclando los cambios ambientales con los riesgos de surgimiento de enfermedades infecciosas.
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Ebola et politiques de communication préventive en Côte d’Ivoire (2014-2016)
Firmin Kra, Marc Egrot, Francis Akindès and Ousmane Zina
pp. 93–117
AbstractFR:
La communication est un véritable défi en santé publique, particulièrement lors des épidémies. Cependant, les scientifiques sociaux s’intéressent rarement aux pratiques de communication des dirigeants en tant que récepteurs et transmetteurs de mesures sanitaires. Or, ces acteurs politiques reçoivent les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les réinterprètent selon le contexte culturel et sociopolitique en tentant de contrôler le sens de leurs messages et leurs éventuelles conséquences immédiates et a posteriori. L’objectif de cet article est d’analyser les enjeux politiques de la communication préventive du gouvernement ivoirien face à la menace de la maladie à virus Ebola (MVE) durant la période allant de début mars 2014 à fin novembre 2016, à la lumière du contexte sociopolitique et épidémique qui prévalait. L’analyse s’appuie sur des données (observations, entretiens, revue de presse, recherches documentaires, etc.) recueillies dans le cadre du programme Ebo‑CI (Ebola et la Côte d’Ivoire ; 2014-2016) et se concentre sur deux objets des multiples mesures sanitaires prises à l’époque : la viande de brousse et les rites funéraires. Les analyses montrent qu’en Côte d’Ivoire, les autorités choisissent leurs objets de communication avec des outils d’intervention en matière de santé mondiale, tout en sanitarisant certaines mesures pour des fins politiques.
EN:
Communication is a real challenge in public health, especially during epidemics. However, social scientists rarely focus on the communication practices of policymakers as receivers and transmitters of health measures. Yet, these political actors receive the recommendations of the World Health Organization (WHO) and reinterpret them according to the cultural and socio-political context, trying to control the meaning of their messages and their possible immediate and a posteriori consequences. This article aims to analyze the political stakes of the Ivorian government’s preventive communication in the face of the threat of Ebola virus disease (EVD) during the period from the beginning of March 2014 to the end of November 2016, considering the prevailing socio-political and epidemic context. The analysis is based on data (observations, interviews, press review, documentary research, etc.) collected within the framework of the Ebo‑CI program (Ebola and Côte d’Ivoire ; 2014‑2016) and focuses on two objects of the multiple health measures taken at the time: bushmeat and funeral rites. The analyses show that in Côte d’Ivoire, the authorities choose their objects of communication with global health intervention tools, while rethinking certain measures for political purposes.
ES:
La comunicación es un verdadero reto en salud pública, sobre todo durante las epidemias. Sin embargo, los científicos sociales raras veces se interesan en las prácticas de comunicación de los dirigentes en tanto que receptores y transmisores de medidas sanitarias. Dichos actores políticos reciben recomendaciones de la Organización Mundial de la Salud (OMS) y las reinterpretan según el contexto cultural y sociopolítico con la intención de controlar el sentido de sus mensajes y de las posibles consecuencias inmediatas y a posteriori. El objetivo de este artículo es analizar los retos políticos de la comunicación preventiva del gobierno marfileño ante la amenaza de la enfermedad viral Ébola (MVE), durante el período que va de principios de marzo 2014 a fines de noviembre 2016, a la luz del contexto sociopolítico y epidémico que entonces prevalecía. El análisis se basa en datos (observaciones, entrevistas, reseñas de prensa, investigación documental, etc.), compilados en el cuadro del programa Ebo‑CI (Ébola y la Côte d’Ivoire; 2014-2016) y se concentra en dos objetos de múltiples medidas sanitarias tomadas en aquella época: la carne de animales silvestres y los ritos funerarios. Los análisis muestran que, en Costa de Marfil, las autoridades escogen sus objetos de comunicación con las herramientas de intervención en materia de salud mundial, pero ponderando ciertas medidas con fines políticos.
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Émergence des vulnérabilités de soignants en première ligne au cours des urgences sanitaires : de l’épidémie d’Ebola à la COVID‑19 au Sénégal
Khoudia Sow
pp. 119–137
AbstractFR:
Basé sur les résultats d’une étude ethnographique sur la construction sociale de la confiance, cet article décrit les expériences vécues lors de l’épidémie de la maladie à virus Ebola. Il montre comment, en première ligne face aux malades, les dispositifs de réponse à une épidémie imprévisible au Sénégal reposent sur les capacités des agents de santé peu visibles, au statut précaire, qui ne sont pas considérés comme faisant partie des membres du personnel de santé, qui assurent au quotidien l’essentiel des soins « ordinaires ». L’article décrit l’itinéraire de soins du patient, les modalités d’identification et le profil des soignants considérés comme des « contacts ». L’auteure décrit leur vécu, les effets sociaux, et financiers de l’assignation à domicile qui renforce la double vulnérabilité professionnelle et sociale ainsi que leurs souffrances. Enfermés dans un « sous‑système de santé » à l’entrée de la pyramide sanitaire, ces soignants invisibles sont les plus exposés, les moins protégés ou soutenus. Cette analyse devrait permettre, d’une part, de contribuer à une connaissance sociologique du rôle habituel et en situation d’épidémie de ces soignants dans le système de soins publics, et, d’autre part, d’appréhender des contours d’une invisibilité « organisée » et institutionnalisée qui compromet les ripostes épidémiques.
EN:
Based on results of ethnographic study about social construction of trust, this article describes experiences of the Ebola Virus Disease epidemic. The author describes how, on the front line of the disease, response to an unpredictable epidemic in a country with limited resources such as Senegal, relies on the capacities of health workers not very visible, who have a precarious status, and who are not considered to be health personnel but who provide essential “ordinary” care on a daily basis through “tasks delegation”. The article describes the patient’s care itinerary, contact case identification modalities and the profile of the caregivers considered as “contacts”. The author describes their experiences, the social and financial effects of home assignment, which reinforces their double professional and social vulnerability as well as their suffering. Locked in a “health subsystem” at the entrance of the health pyramid, these invisible caregivers are the most exposed, the least protected or supported. In context of a country with a fragile health system, this analysis should contribute to a sociological understanding of the usual role of caregivers in the public health system and in epidemic situations, but also to understand contours of an “organized” and institutionalized invisibility that compromises epidemic responses.
ES:
Basado en los resultados de un estudio etnográfico sobre la construcción social de la confianza, este artículo describe las experiencias vividas durante la epidemia de la enfermedad viral del Ébola. Muestra cómo, en primera línea ante los enfermos, los dispositivos para responder a una epidemia imprevisible en Senegal dependen de las capacidades de los agentes sanitarios poco visibles, con estatus precario, que no son considerados como miembros del personal de salud pero que aseguran de manera cotidiana lo esencial de la asistencia sanitaria «rutinaria». El artículo presenta el itinerario de la atención del paciente, las modalidades de identificación y el perfil del personal sanitario considerados como «contactos». La autora describe su vivencia, los efectos sociales y financieros de la asignación en domicilio, la cual refuerza la doble vulnerabilidad profesional y social, así como sus padecimientos. Confinados en un «subsistema de salud» en la base de la pirámide sanitaria, ese personal sanitario invisible es el más expuesto, el menos protegido o apoyado. Este análisis contribuirá al conocimiento sociológico del rol habitual y en situación de epidemia del personal sanitario en el sistema de salud pública, y por otra parte permitirá comprender los contornos de una invisibilidad «organizada» e institucionalizada que compromete la respuesta a las epidemias.
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La « féminisation » du VIH en Papouasie–Nouvelle-Guinée : vulnérabilité, prévention et soins
Holly Wardlow
pp. 139–158
AbstractFR:
L’expression « féminisation du sida » est communément utilisée pour évoquer la plus grande vulnérabilité des femmes au VIH et la manière disproportionnée dont elles en sont infectées. Cette expression sert en quelque sorte de raccourci pour désigner le fait que le sexe féminin et le genre féminin interagissent pour rendre les jeunes filles et les femmes particulièrement vulnérables à l’infection. Dans cet article, j’émets l’idée qu’une focalisation sur la vulnérabilité à l’infection est excessivement réductrice et qu’en fait, le sida peut être considéré comme étant « féminisé » — ou comme ayant des conséquences et des implications particulières pour les femmes — de multiples manières. J’examine trois études de cas concernant le VIH provenant de mon travail de terrain en Papouasie–Nouvelle-Guinée : la première porte sur la vulnérabilité des femmes dans le contexte de l’extraction des ressources minières ; la deuxième concerne un atelier de sensibilisation au sida au cours duquel les hommes et les femmes en sont presque venus aux coups ; et la troisième démontre l’isolement social et la dévalorisation morale accrus des femmes lorsqu’elles reçoivent un diagnostic de séropositivité. À travers l’analyse de ces trois cas, je suggère que le genre, en tant que concept analytique, doit être considéré comme l’une des dimensions des épidémies à tous leurs stades — de la vulnérabilité à l’intervention, jusqu’au traitement et aux soins.
EN:
The phrase “the feminization of AIDS” has commonly been used to refer to women’s greater vulnerability to, and disproportionate infection with, HIV globally. The phrase serves as a kind of shorthand for the fact that female sex (specifically, female reproductive physiology) and female gender (a culturally constructed role and relation of power) interact to make girls and women especially vulnerable to infection. In this paper I suggest that a focus on vulnerability to infection is overly narrow, and that, in fact, AIDS can be understood as “feminized”—or having specific consequences and implications for women—in multiple ways. I examine three HIV case studies taken from my fieldwork in Papua New Guinea: the first focuses on female vulnerability in the context of resource extraction; the second is an AIDS awareness workshop in which men and women almost came to blows; and the third demonstrates women’s greater social isolation and moral devaluation once they receive an HIV-positive diagnosis. Through the exegesis of these case studies, I suggest that gender, as an analytic, needs to be considered as a dimension of epidemics in all stages—from vulnerability, to intervention, to treatment and care.
ES:
La expresión «feminización del sida» ha sido comúnmente empleada para evocar una vulnerabilidad más grande de las mujeres al VIH y la forma desproporcionada en la que ellas han sido afectadas. Esta expresión sirve como una suerte de atajo para designar el hecho de que el sexo femenino y el género femenino interactúan para volver a las jóvenes y a las mujeres particularmente vulnerables a la infección. En este artículo, emito la idea que la focalización en la vulnerabilidad a la infección es demasiado reductora y que, de hecho, el sida puede ser considerado como — «feminizado» o que afecta e implica más particularmente a las mujeres — de múltiples maneras. Examino tres estudios de caso sobre el VIH provenientes de mi trabajo de campo en Papua Nueva Guinea: el primero aborda la vulnerabilidad de las mujeres en el contexto de la extracción de recursos; el segundo, sobre un taller de sensibilización al sida durante el cual los hombres y las mujeres casi terminan golpeándose; el tercero muestra el aislamiento social y la desvalorización moral muy agudas entre las mujeres cuando reciben un diagnóstico de seropositividad. A través del análisis de esos tres casos, sugiero que el género, en tanto que concepto analítico, debe ser considerado como una de las dimensiones de las epidemias en todos sus estadios — de la vulnerabilidad a la intervención hasta el tratamiento y el acompañamiento.
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« Je ne veux pas amener le stigmate de cette épidémie sur moi et sur ma famille ! » : VIH, stigmatisation et émotions aux îles Fidji
Fabienne Labbé
pp. 159–180
AbstractFR:
Bien que la pandémie de VIH ait perdu en attention médiatique depuis une décennie, elle n’en continue pas moins de faire des ravages à travers le monde. Dans cet article, je me penche sur le VIH dans un endroit où on ne l’attend pas : les îles Fidji. J’analyse une dimension fondamentale du vécu du VIH : la stigmatisation. J’examine les formes prises par la stigmatisation associée à l’infection, l’univers moral dans lequel elle prend forme et les logiques sociales et culturelles dont elle procède dans la société fidjienne. J’analyse également la façon dont les personnes atteintes du VIH font l’expérience de cette stigmatisation, notamment le sentiment de honte (māduā) qui lui est associé. J’aborde finalement les stratégies mises en oeuvre par les personnes vivant avec le VIH pour composer avec la stigmatisation et avec la honte, entre autres garder leur condition secrète, tenter de redorer leur image aux yeux des autres en se convertissant au christianisme évangélique, charismatique ou pentecôtiste et devenir un militant pour la cause. En m’inspirant de l’approche théorique d’Arthur Kleinman, j’aborde la stigmatisation associée au VIH aux îles Fidji comme une expérience fondamentalement morale, intersubjective et émotionnelle.
EN:
Although the HIV pandemic has lost media attention over the past decade, it continues to take its toll around the world. In this article, I look at HIV in a place where it is not expected: the Fiji Islands. I analyze a fundamental dimension of the HIV experience: stigma. I examine the forms that HIV stigma takes in Fiji, the moral universe in which it takes shape, and the social and cultural logic from which it proceeds in the Fijian society. I also analyze how people living with HIV experience this stigma, including the sense of shame (māduā) associated with it. Finally, I discuss the strategies that people living with HIV use to cope with stigma and shame, including keeping their condition secret, attempting to restore their image in the eyes of others by converting to an evangelical, charismatic, or Pentecostal Christianity and becoming an HIV activist. Drawing on Arthur Kleinman’s theoretical approach, I explore HIV-related stigma in Fiji as a fundamentally moral, intersubjective, and emotional experience.
ES:
Aunque la pandemia del VIH haya perdido la atención mediática desde hace unos diez años, no por ello ha dejado de hacer estragos a través del mundo. En este artículo, me ocupo el VIH en un lugar inusitado: las islas Fiyi. Analizo una dimensión fundamental de la experiencia del VIH: la estigmatización. Examino las formas que adquiere la estigmatización asociada con la infección, el universo moral en el cual adquiere forma y las lógicas sociales y culturales de donde procede en la sociedad fiyiana. Analizo asimismo la manera en que las personas infectadas por el VIH experimentan dicha estigmatización, sobre todo el sentimiento de vergüenza (māduā) al que está asociada. Finalmente, abordo las estrategias empleadas por las personas que viven con el VIH para enfrentar la estigmatización y la vergüenza, entre ellas mantener secreta su condición, tratar de redorar su imagen a los ojos de los demás convirtiéndose al cristianismo evangélico, carismático o pentecostal y devenir un militante de la causa. Inspirándome de la perspectiva teórica de Arthur Kleinman, abordo la estigmatización asociada al VIH en las islas Fiyi como una experiencia fundamentalmente moral, intersubjetiva y emotiva.
Entretien / Interview / Entrevista
Hors thème / Off Theme / Al Margen
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Pierres vivantes : une anthropologie du vivant à hauteur de pierres
Nicolas Adell and Laurence Charlier Zeineddine
pp. 197–217
AbstractFR:
Dans les Andes, certaines pierres sont « élevées » par les bergers : lorsqu’ils en aperçoivent dans la montagne, ils ont la charge de les emporter chez eux, de les nourrir et d’en prendre soin, car ces « êtres vivants » ont faim et ont besoin d’attention. Si ces pierres vivantes ne remettent pas brutalement en cause les limites du vivant que les humains manifestent, elles remettent en question certains processus communs : elles sont élevées et nourries, mais ne grandissent pas. Elles ajoutent discrètement leurs propriétés minérales à ce qu’être vivant veut dire et ouvrent la possibilité de prendre en compte de nouvelles qualités pour faire la vie. En contexte européen, d’autres pierres ont également cette capacité à inquiéter les frontières du monde vivant : les pierres « branlantes » ou « clouées » défient ainsi les lois d’un équilibre qui semble précaire tandis que les pierres « percées » font entendre leur voix lorsque s’engouffre le vent par quelques-unes de leurs cavités. Dans cet article, il s’agit d’explorer et d’étendre le champ du vivant à partir des propriétés sensibles qui caractérisent les pierres : la durée, la dureté, la fixité apparente. En rendant compte des mouvements que les acteurs, dans les Andes et en Europe, prêtent à certaines pierres, il est proposé une approche descriptive des manières dont est perçue ou ressentie la mobilité lithique.
EN:
In the Andes, some stones are “raised” by shepherds: when they see them in the mountains, they are in charge of taking them home, feeding them and taking care of them because these “living beings” are hungry and need attention. If these living stones do not question immediately the limits of the living area that humans manifest, they question some common processes: they are raised and nourished but do not grow. They discreetly add their mineral qualities to what it means to be alive and open the possibility of taking into account new qualities to make life. In the European context, other stones also have this ability to disturb the boundaries of the living world: “wobbly” stones defy the laws of a seemingly precarious balance, while blowing stones make their voice heard when the wind rushes through some of their cavities. In this article, the aim is to explore and extend the field of living things based on the sensitive qualities that characterize stones: duration, hardness, apparent fixity. By considering the movements that the actors, in the Andes and in Europe, lend to certain stones, we suggest a descriptive approach of the ways in which lithic mobility is perceived or felt.
ES:
En los Andes los pastores «crían» ciertas piedras: cuando las encuentran en las montañas, tienen el deber de llevarlas a sus casas, alimentarlas y cuidarlas, pues esos «seres vivos» tienen hambre y necesitan atención. Si esas piedras vivientes no ponen brutalmente en causa los límites de lo vivo que los humanos manifiestan, sí cuestionan ciertos procesos comunes: se crían y se alimentan, pero no crecen. Ellas agregan discretamente sus propiedades minerales a lo que significa estar vivo y abren la posibilidad de considerar nuevas cualidades de hacer vida. En el contexto europeo, otras piedras tienen ésta misma capacidad de asediar las fronteras del mundo de lo vivo: las piedras «tambaleantes» o «clavadas» que desafían las leyes del equilibrio mientras que las piedras «agujereadas» dejan oír su voz cuando penetra el viento por alguna de sus cavidades. En este artículo, exploramos y extendemos el campo de lo vivo a partir de las propiedades sensibles que caracterizan a las piedras: la duración, la dureza, la fijeza aparente. Mediante el seguimiento de los movimientos que los actores, en los Andes y en Europa, acuerdan a ciertas piedras, proponemos un acercamiento descriptivo de las maneras en que la movilidad lítica se percibe o se siente.
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Les étudiantes et étudiants et le mouvement indien des femmes à New Delhi : entre continuité et renouveau générationnel
Caroline Michon
pp. 219–238
AbstractFR:
L’étude des étudiantes et étudiants engagés dans les luttes féministes et/ou pour l’égalité au sein de deux campus de la ville de New Delhi laisse entrevoir les débats actuels qui traversent le mouvement indien des femmes. Ce mouvement historique, composé de femmes et d’hommes luttant pour l’égalité en Inde, a éclos à la fin du XIXe siècle et a connu plusieurs périodes et générations de militantes portant des problématiques propres. Les étudiantes et étudiants sont des acteurs centraux des luttes du fait de leurs revendications et des débats qu’elles et ils suscitent. L’institutionnalisation du genre, la reproduction des inégalités et l’invisibilité de certaines problématiques qui sont au coeur des luttes sur les campus font écho aux luttes internes du mouvement. Tout en étant les héritiers des luttes passées, les étudiantes et étudiants semblent appartenir à une nouvelle génération de féministes naviguant entre idéologie intersectionnelle, demande d’autonomie et reproduction sociale.
EN:
The study of students engaged in feminist and/or equality struggles on two campuses in the city of New Delhi provides a glimpse of the current debates going on in the Indian women’s movement. This historical Movement composed of women and men fighting for equality in India, which emerged at the end of the 19th century, has known several periods and generations of activists with their own issues. Students are central actors of the Movement because of their claims, and the debates they raise. The gender institutionalization, the reproduction of inequalities and the invisibility of certain issues, which are at the core of struggles on campus, reflect the internal conflicts of the Movement. While being the inheritors of past struggles, students seem to belong to a new generation of feminists navigating between an intersectional ideology, demand for autonomy and social reproduction.
ES:
El estudio de los y las estudiantes comprometidas con las luchas feministas o por la igualdad en el seno de los dos campus de la ciudad de Nueva Delhi, deja entrever los debates actuales que atraviesan al movimiento Indú de las mujeres. Este movimiento histórico, iniciado a fines del siglo XIX por mujeres y hombres que luchaban por la igualdad en la India, ha conocido varios períodos y generaciones de militantes con problemáticas propias. Los y las estudiantes son actores centrales en las luchas debido a las reivindicaciones y debates que han suscitado. La institucionalización del género, la reproducción de desigualdades y la invisibilidad de ciertas problemáticas que están en el centro de las luchas en los campus, reflejan las luchas internas del movimiento. Al ser herederos de luchas pasadas, los y las estudiantes parecen pertenecer a una nueva generación de feministas que navegan entre ideología interseccional, exigencia de autonomía y reproducción social.
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Acte alimentaire, normativité sociale et diabète de type 2 chez des migrants originaires d’Afrique subsaharienne
Gisèle Mandiangu Ntanda, Bernard Roy and Marie-Claude Tremblay
pp. 239–256
AbstractFR:
Depuis longtemps, l’avènement du diabète de type 2 est associé aux comportements alimentaires. Il s’agit, d’ailleurs, d’un des comportements les plus ciblés par les intervenants de la santé pour que les personnes vivant avec le diabète de type 2 retrouvent la santé. Ces personnes sont, individuellement, invitées à choisir minutieusement les aliments qu’elles incluent dans leur alimentation quotidienne tout en respectant les valeurs nutritives, des apports caloriques scientifiquement normés. Cette conception de l’alimentation occulte les dimensions sociales, voire identitaires, de l’acte alimentaire. À partir des données préliminaires issues de notre recherche doctorale s’intéressant aux personnes originaires de l’Afrique subsaharienne porteuses d’un diagnostic de diabète de type 2 ou à risque de développer cette pathologie, nous souhaitons démontrer que l’acte alimentaire constitue une puissante manifestation d’une normativité sociale. Celle-ci permet de créer de solides liens sociaux au sein des collectivités de personnes partageant des histoires de vie, des postures sociales, économiques et politiques apparentées.
EN:
The advent of type 2 diabetes has long been associated with dietary behaviours. This is one of the behaviours most targeted by health care providers to restore health to people living with type 2 diabetes. These people are, individually, invited to carefully choose the foods they include in their daily diet while respecting the nutritional values, scientifically standardized calorie intake. This conception of food obscures the social and even identity dimensions of the act of eating. Based on preliminary data from our doctoral research on people from sub-Saharan Africa with a diagnosis of type 2 diabetes, or at risk of diabetes, we wish to demonstrate that the act of food constitutes a powerful manifestation of a social normativity which, in turn, makes it possible to create strong social ties within the communities of people sharing similar life stories, social, economic, and political postures.
ES:
Desde hace mucho tiempo, la aparición de la diabetes de tipo 2 ha sido asociada a los comportamientos alimentarios. Se trata, además, de uno de los comportamientos más focalizados por los professionales de la salud con el fin de que las personas que sufren de diabetes tipo 2 recobren su salud. Esas personas son individualmente invitadas a escoger minuciosamente los alimentos que componen su alimentación cotidiana, respetando los valores nutricionales, los aportes calóricos científicamente recomendados. Esta concepción de la alimentación oculta las dimensiones sociales, véase identitarias, del acto alimentario. A partir de datos preliminares provenientes de nuestra investigación doctoral sobre las personas originarias de África subsahariana con diagnóstico de diabetes tipo 2 o que corren el riesgo de desarrollar esta enfermedad, buscamos demostrar que el acto alimentario constituye una potente manifestación de una normatividad social. Esta permite crear sólidos lazos sociales en el seno de las colectividades de personas que comparten historias de vida, posturas sociales y políticas emparentadas.
Comptes rendus / Book Reviews / Reseñas
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Desclaux Alice, Anthony Billaud et Khoudia Sow (dir.), 2022, Anthropologie appliquée aux épidémies émergentes. Paris, L’Harmattan, coll. « Anthropologies et Médecines », 307 p., illustr., bibliogr.
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Kelly Ann H., Frédéric Keck et Christos Lynteris (dir.), 2019, The Anthropology of Epidemics. Londres, Routledge, 194 p.
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Mazzocchetti Jacinthe et Pierre-Joseph Laurent, 2021, Dans l’oeil de la pandémie. Face-à-face anthropologique. Louvain-la-Neuve, Éditions Academia, 212 p., illustr., fig., tabl., bibliogr.
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Somparé Abdoulaye Wotem, 2020, L’énigme d’Ebola en Guinée. Une étude socio‑anthropologique des réticences. Paris, L’Harmattan, coll. « Études africaines », série « Santé », 272 p., bibliogr.
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Villedieu Yanick, 2021, Le deuil et la lumière. Une histoire du sida. Montréal, Éditions du Boréal, 352 p.
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Das Veena, 2021, Voix de l’ordinaire. L’anthropologue face à la violence, préface de Sandra Laugier. Lausanne, BSN Press, coll. « A contrario campus », 240 p., bibliogr.
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Pichette Jean-Pierre, 2019, La danse de l’aîné célibataire ou la résistance des marges. Étude d’une sanction populaire dans le rituel du mariage franco‑ontarien. Québec, Les Presses de l’Université Laval, coll. « Les Archives de folklore », 33, 276 p.
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Thomas Nicholas, 2020, Océaniens. Histoire du Pacifique à l’âge des empires, préface d’Éric Wittersheim, traduit de l’anglais par Paulin Dardel. Toulouse, Anacharsis, coll. « Essais », série « Histoire », 507 p., illustr., cartes, bibliogr.
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Tsing Anna L., 2022, Proliférations, préface d’Isabelle Stengers, traduit de l’anglais par Marin Schaffner. Paris, Wildproject, 128 p., illustr., bibliogr.